E mployées dans de nombreuses applications industrielles, les caméras se déclinent en des gammes variées, selon un vaste panel de paramètres. Chaque application impose des contraintes spécifiques, et le choix d'une caméra adaptée découle d'un compromis entre différents critères. La définition et la vitesse sont parmi les caractéristiques principales qui distinguent une caméra. La définition désigne le nombre de pixels du capteur de la caméra. La vitesse est définie par la fréquence à laquelle il est possible d'acquérir des images. Ces deux paramètres ne peuvent pas être maximisés simultanément: plus on a de pixels sur un capteur,plus il y a de données à transmettre. La vitesse maximale s'en trouve donc affectée. D'autres éléments pèsent aussi dans le compromis d'ensemble,comme les objectifs, l'interface de communication ou la technologie de traitement d'image employée en aval.
Pas de standards
Pour les applications les plus exigeantes, les fabricants proposent des caméras haut de gamme. Mais qu'est-ce qu'une caméra « rapide » ? Que signifie une «haute définition»? Il n'existe pas de standards pour définir précisément les valeurs à partir desquelles on peut parler de haute vitesse ou de haute définition. Ces critères sont arbitraires, dépendent des fabricants ou des applications. De plus, la technologie étant en constante évolution, des paramètres haut de gamme peuvent devenir le standard au bout de quelques années. « Il n'est pas pertinent de parler de caméras rapides dans l'absolu , estime Julien Romann, en charge de la recherche et développement chez le fournisseur de systèmes de vision Photon Lines. Tout dépend de la famille de produits et de l'utilisation que l'on en fait ».
Une image en haute résolution permet d'inspecter plusieurs objets en même temps, ou d'obtenir plus de détails.
Keyence
« Dans le contrôle industriel,on peut déjà parler de rapidité à partir de quelques centaines d'images par seconde , continue-t-il. Dans le secteur militaire,aéronautique ou automobile, on peut avoir besoin de cadences de plusieurs milliers d'images par seconde. Quant à la recherche scientifique, elle peut en nécessiter des centaines de milliers, voire des millions. Il en va de même, dans une moindre mesure, avec la définition. » Les hautes vitesses sont nécessaires lorsqu'il s'agit d'observer un objet dont le mouvement est rapide. Il peut s'agir par exemple d'un produit sur une ligne de fabrication ou d'une machine. Pour assurer cette performance, la caméra doit proposer un temps d'exposition très faible, pendant lequel le déplacement de l'objet doit correspondre à moins d'un pixel sur le capteur. Dans le cas contraire, l'image sera floue.
L'association de vision industrielle du Royaume-Uni UKIVA note que beaucoup de fabricants commencent à parler de caméras « haute vitesse » au-delà d'une cadence de 200 images par seconde. Certains mettent plutôt en avant le temps de transfert d'une image: on parlera ainsi de caméras rapides en dessous de 5 millisecondes. La vitesse maximale d'une caméra est généralement indiquée pour la définition maximale. Mais ces deux paramètres sont interdépendants. Il est donc souvent possible d'obtenir des cadences supérieures en faisant fonctionner la caméra à une définition moindre. « Ce qui compte, c'est alors le débit et la quantité de données totale »,précise Élodie Rigaudière, chef produits Vision industrielle chez Techway, qui fournit des systèmes de vision industrielle.Les fiches techniques des caméras comportent souvent des tableaux détaillant les cadences possibles en fonction de la définition.
La définition est souvent confondue avec la résolution, y compris par les fabricants eux-mêmes qui utilisent indifféremment les deux termes. « La résolution désigne, sur une image, le nombre de pixels par millimètre, précise Baptiste Güldner, directeur général France du fournisseur de systèmes de vision Stemmer Imaging. Ce paramètre dépend donc aussi de l'optique utilisée par la caméra. » Pour gagner en définition, il est possible d'augmenter la taille du capteur –ce qui a un impact sur son coût, et donc sur son acceptation sur le mar-ché. Une autre possibilité est de réduire la taille des pixels: c'est le principal axe d'amélioration. Au fil des années, les pixels sont de plus en plus petits. Aujourd'hui, ils sont de l'ordre du micron. Cette taille est plafonnée par les moyens de fabrication des capteurs, mais aussi par des limitations optiques. Ainsi, avec des capteurs de taille équivalente, on atteint des définitions de plus en plus importantes. Les caméras de 12 mégapixels, considérées comme de très haute définition il y a encore quelques années, sont devenues courantes. Les capteurs les plus haut de gamme aujourd'hui peuvent compter plus de 100 mégapixels. Mais il existe un autre moyen d'atteindre de hautes performances: « En déplaçant légèrement un capteur avec un système piézoélectrique, il est possible de décupler la définition », explique Baptiste Güldner. Le fabricant Vieworks propose par exemple, dans sa sérieVN, un modèle capable d'atteindre les 260 mégapixels, à 4,8 images par seconde, à partir d'un capteur de 29 mégapixels.
Les caméras haute vitesse permettent la mise en place d'applications d'inspection visuelle sur des chaînes de production rapides.
AlliedVision
Le monopole des capteurs Cmos
Aujourd'hui, les caméras industrielles utilisent presque exclusivement des capteurs Cmos (semi-conducteurs à oxyde métallique complémentaire). Si l'on trouve encore des capteurs à transfert de charges ( Charge Coupled Device ou CCD) dans certaines caméras toujours commercialisées, les nouveaux modèles les ont abandonnés. Le gros avantage des capteurs Cmos est leur vitesse: chaque pixel contient une photodiode, servant à la conversion des photons en charge électrique et au stockage des charges. Celles-ci peuvent être directement converties en tension dans le pixel, grâce à un amplificateur. Chaque pixel peut donc être lu indépendamment, tandis que les capteurs CCD nécessitent de transférer les charges de pixel en pixel jusqu'au nœud de sortie pour être mesurées. Autrement dit, les capteurs Cmos disposent de plus de voies pour extraire l'information. Les capteurs Cmos ont longtemps été laissés de côté, en raison de la difficulté à obtenir de bonnes performances pour un coût de fabrication suffisamment faible.
L'interface CoaXPress, conçue pour la vision, permet d'utiliser jusqu'à 4 liaisons coaxiales. C'est le système de communication le plus rapide, adapté aux applications à haute vitesse.
Une caméra ne se résume pas à un capteur, et un système de vision ne se résume pas à une caméra. Les performances du système dans son ensemble dépendent donc d'autres éléments. « L'éclairage est une des bases de la vision, rappelle Élodie Rigaudière (Techway). Si l'objet est mal éclairé, même la caméra la plus performante ne permettra pas d'obtenir l'information souhaitée. » Il n'existe pas d'éclairages spécifiques aux caméras haute performance, mais ces dernières imposent tout de même des contraintes: « Plus les pixels sont petits, moins ils captent de lumière, précise Élodie Rigaudière. Il faut donc s'assurer d'avoir un éclairage assez puissant ».
Avant d'atteindre le capteur, la lumière passe par un objectif. Les capteurs à haute définition imposent des spécifications particulières. « Ils ont gardé la même taille que les versions plus anciennes », commente Élodie Rigaudière. E t comme les pixels sont plus petits, pour restituer correctement l'image sans déformation, avec une résolution suffisante, il faut une lentille de courbure différente. » L'objectif détermine le champ de vision de l'application, en fonction de la distance focale, c'est-à-dire celle qui sépare l'objet de l'objectif. « Il existe des abaques pour sélectionner un objectif adapté à l'application visée,en fonction de la caméra », explique Jérémy Oger, expert vision chez Keyence.
« On observe une accélération du cycle de l'innovation , note Baptiste Güldner (Stemmer Imaging). Les fabricants d'objectifs proposent de plus en plus souvent des gammes adaptées. Mais le prix du matériel optique augmente beaucoup avec la performance, car les processus de fabrication sont plus longs. » Cela n'est pas vrai pour les semi-conducteurs, dont sont faits les capteurs de caméras et dont le prix a plus tendance à diminuer avec le temps. On observe donc un changement du ratio entre le coût d'une caméra haute définition et celui de l'optique associée: cette dernière pèse plus dans le prix total d'une caméra de haute définition que dans celui d'une caméra standard. Que deviennent les informations obtenues par le capteur? Certaines caméras disposent d'une mémoire de stockage interne. Cela permet notamment de déclencher l'acquisition d'une série d'images à très grande vitesse. On parle de mode «burst». Mais plus généralement, les données doivent être transférées en temps réel vers un système de traitement. La bande passante peut alors être une limite à la performance du système de vision, si elle n'est pas à la hauteur du potentiel de la caméra. Plusieurs technologies sont couramment employées: USB, CameraLink, ou plus souvent Ethernet et CoaXPress.
Les interfaces Gigabit Ethernet (GigE) évoluent avec le temps: « Certaines caméras ne sont pas utilisées au maximum de leur capacité en raison de leur connexion , résume Baptiste Güldner. Mais en passant au 10 Gbit/s,certains capteurs,qui devaient être bridés, peuvent être utilisés à pleine vitesse. » Ce standard de communication présente l'avantage d'être très largement répandu dans l'industrie, ce qui permet de connecter des caméras en réutilisant une infrastructure existante. « Cela ne bouscule pas les compétences ni les habitudes en termes de déploiement, ce qui en fait une solution accessible », ajoute-t-il. Cependant, « si les interfaces Gigabit Ethernet sont compatibles avec les grandes matrices, il ne faut pas avoir une cadence trop élevée », prévient Élodie Rigaudière (Techway).
Communiquer en haut débit
Ainsi, parmi les caméras à haute vitesse, beaucoup utilisent le système CoaXPress. Ce protocole de communication série, basé sur des câbles coaxiaux,a été conçu pour les systèmes de vision et propose la solution la plus rapide. Comme Ethernet, il peut également acheminer l'alimentation, via la fonction PoCXP. « La norme CXP-6 permet d'utiliser quatre liens,pour un débit allant jusqu'à 24 Gbit/s », précise Élodie Rigaudière. Mais en 2019, la prochaine version, CXP-12, sera officialisée. Elle doublera le débit pour chaque lien, ce qui permettra d'atteindre 48Gbit/s, soit quatre liens à 12Gbit/s. Certains fabricants, comme Kaya Instruments ou Optronis, proposent d'ores et déjà des caméras compatibles avec la norme CXP-12. Certaines cartes d'acquisition, notamment chez Matrox, sont également compatibles CXP-12. « La tendance était plutôt de se passer de cartes d'acquisition , rappelle Élodie Rigaudière. Ethernet permet de se connecter directement à un PC, ce qui simplifie le système tout en réduisant le coût. Mais avec les nouveaux capteurs, cet élément retrouve son importance. » Lorsque le débit n'est pas soutenable via Ethernet, il faut utiliser une carte d'acquisition en aval de la caméra, avant de restituer les informations au PC chargé du traitement des images.
La taille des pixels sur un capteur de vision haute définition peut descendre jusqu'au micromètre. Cela impose d'utiliser des objectifs adaptés, plus coûteux.
Kaya Instruments
Bien sûr, des images plus grandes et acquises à une cadence plus élevée impliquent que le système de traitement doit lui aussi être capable de hautes performances. « Avec les dernières générations de processeurs, des PC peuvent assurer cette fonction », indique Élodie Rigaudière. Mais tout dépend de la difficulté des applications. Le problème d'un processeur est qu'il doit partager sa puissance de calcul en différentes tâches, dont le fonctionnement du système d'exploitation. L'usage de processeurs graphiques (GPU) peut contribuer à atteindre la performance nécessaire. Mais d'autres méthodes sont fréquemment utilisées pour traiter les images des caméras à haute performance.
Les FPGA (circuits logiques programmables) peuvent effectuer un prétraitement des images, afin de décharger le processeur. « On observe une explosion de leur utilisation ces dernières années », note Baptiste Güldner (Stemmer Imaging). Ces systèmes sont adaptés à des tâches répétitives, telles que le filtrage ou la débayerisation. Ils fonctionnent en temps réel, sans latence, car il s'agit d'une technologie déterministe. « Ils travaillent sans être interrompus, contrairement à un PC, qui doit donner la priorité à certaines tâches », précise Élodie Rigaudière (Techway). La technologie ASIC (circuits spécifiques) peut assurer la même fonction. Au contraire du FPGA, elle n'est pas reprogrammable, ce qui lui confère un coût plus avantageux. On la trouve notamment dans le système RealSense d'Intel, pour reconstituer le volume d'une image à partir de deux caméras.
Certains fabricants, comme Keyence, proposent des solutions complètes, al-lant de la caméra au système de traitement d'image. « Nous utilisons un automate dédié à la vision, qui récupère et traite l'image avant de renvoyer les informations souhaitées à l'automate de production », détaille Jérémy Oger. Là encore, toute la puissance de calcul est dédiée au traitement d'image. Avec des processeurs totalisant jusqu'à 14 cœurs, les systèmes de la gamme CVX ou XGX permettent la mise en place d'applications complexes sur des images jusqu'à 21 mégapixels. « Selon les compétences de l'utilisateur, ce type de système est proposé dans une version facile d'emploi, avec un guidage pas à pas, ou plus ouverte, afin de permettre les développements spécifique s», indique l'expert vision.
Les systèmes de vision basés sur des caméras haute performance sont principalement utilisés pour l'inspection. La haute résolution est utile pour la mesure de précision, mais elle évite aussi de multiplier les caméras en permettant d'observer plus de choses sur une même image. Concernant la vitesse, « augmenter le nombre de mesures par seconde est motivé jusqu'à présent par la cadence de production dans les usines », ajoute Baptiste Güldner (Stemmer Imaging). Les caméras à haute vitesse peuvent aussi être utilisées pour diagnostiquer une anomalie sur une machine rapide, dont le mouvement ne peut être perçu correctement à l'œil nu. Il peut s'agir d'une intervention ponctuelle,mais les images peuvent aussi être enregistrées en continu afin d'analyser les événements survenus avant et après un incident. Il faut donc coupler la caméra avec un système de déclenchement en cas de problème, afin de ne garder que les images utiles et non la totalité des enregistrements.
Certaines caméras haute définition sont commercialisées dans le cadre de systèmes de vision complets, intégrant une solution de traitement d'image adaptée.
Ce déclenchement peut par exemple être obtenu par la surveillance de variations sur une petite région de l'image.
L'amélioration générale des performances des systèmes de vision contribue à répandre différentes technologies. C'est le cas notamment de la vision 3D: elle nécessite généralement des profilomètres, dotés de capteurs linéaires plutôt que de matrices. Mais en termes de vitesse et de résolution, l'enjeu est le même. « C'est très utile pour les produits qui défilent en continu, comme des pièces cylindriques, précise Jérémy Oger (Keyence). L'accumulation des profils permet de reconstituer le relief. » La haute définition trouve également une utilité en robotique: « Nous proposons un système de vision permettant la calibration automatique d'un robot, indique Jérémy Oger. La caméra permet de repérer une pièce dans l'espace et d'en déduire une coordonnée, communiquée ensuite au robot ».
Éclairage multispectral
Les caméras rapides peuvent aussi se combiner à d'autres innovations, afin d'en tirer de meilleures performances. C'est le cas notamment avec les technologies d'éclairages, qui peuvent être synchronisées à haute fréquence. « Le LumiTrax est un éclairage segmenté,permettant d'illuminer une pièce selon plusieurs angles pour mieux rendre compte des reliefs, décrit Jérémy Oger. Cela est compatible avec les caméras à haute vitesse. » Il en va de même avec l'éclairage multispectral, voire hyperspectral. Keyence propose par exemple le Multi Spectrum, qui éclaire dans huit longueurs d'onde différentes. « Les applications multispectrales permettent de voir beaucoup plus de choses, décrit Baptiste Güldner (Stemmer Imaging). Mais pour accéder à ce type de mesure,il faut des capteurs plus rapides. » En effet, les différents éclairages se succèdent, il faut donc multiplier les images d'une même pièce pour obtenir toutes les informations.Certains éclairages et caméras vont jusque dans le proche infrarouge (NIR). « Pour faire cela, il fallait auparavant des caméras scientifiques beaucoup plus chères », rappelle Baptiste Güldner.
Matrox Les interfaces Ethernet permettent de se passer de cartes d'acquisition. Mais ces dernières restent utiles pour les applications à haute vitesse communiquant sur CoaXpress.
En montant le capteur d'une caméra sur un système piézoélectrique pour le déplacer, il est possible de démultiplier le nombre de pixels pour une image, et d'atteindre de très hautes résolutions.
Selon une étude de Markets and Markets, le marché des caméras rapides pesait dans son ensemble 288 millions de dollars en 2018, et devrait croître jusqu'à 422 millions d'ici à 2023. Les applications industrielles, telles que la surveillance de lignes de production et l'inspection, représentent la part de marché la plus importante pour les nou-velles caméras. « Nous sommes dans une période très intéressante, analyse Baptiste Güldner. Les caméras actuelles permettent d'augmenter assez librement le nombre de pixels d'une image et la cadence, et il existe des solutions de traitement adaptées. On observe donc une explosion d'applications jusqu'alors difficiles à mettre en place avec un budget industriel. La technologie ouvre de nombreuses portes, et nous ne voyons encore qu'une petite partie de ce qui est à venir ».