Ces dernières années, le nucléaire a fait plus souvent l'actualité pour des raisons négatives, telles que l'accident survenu à la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi au Japon ou aux difficultés rencontrées par Orano (anciennement Areva) dans la livraison de la 3 e génération de centrales nucléaires, plus connues sous son acronyme anglais EPR ( European Pressurized Reactor , puis Evolutionary Power Reactor ) ou réacteurs pressurisés européens, à Flamanville en France, à Hinkley Point en Angleterre et à Olkiluoto en Finlande. Pourtant le nucléaire civil reste une industrie de hautes technologies, parfois même très en amont par rapport aux autres industries et qui peut représenter un marché incontournable pour un certain nombre d'acteurs.
C'est ce qui ressort des interviews menées auprès de dix représentants de fabricants, de centres scientifiques ou techniques, présents dans les secteurs de l'instrumentation de process, des vannes, du pesage, des automatismes, des essais et contrôles, etc. Et c'est ce que les exposants et les visiteurs de la 3 e édition du World Nuclear Exhibition (WNE), qui s'est déroulée du 26 au 28 juin dernier à Paris Nord Villepinte, ont pu, une nouvelle fois, constater. « Depuis les quinze dernières années, le marché de la fourniture électrique connaît une évolution du mixte énergétique, selon les pays. S'il s'est vu souffler la priorité par le gaz, dont le prix s'est effondré, et les énergies renouvelables, où la priorité réside dans l'injection dans le réseau, la filière nucléaire n'est toutefois pas inquiétée, et cela pousse les acteurs à améliorer leur compétitivité », constate Thomas Grand, vice-président du département Énergie & Procédés de Dassault Systèmes.
Les centrales nucléaires et le cycle du combustible
Et Gérard Kottmann, président de l'Association des industriels français exportateurs du nucléaire (AIFEN) et du salon WNE, de poursuivre : « nous sommes actuellement en plein débat sur la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) ; la filière du nucléaire est donc en attente. C'est le cas en France, mais aussi en Grande-Bretagne, en Inde, en Arabie saoudite. Si les entreprises et les visiteurs sont venus en nombre au WNE, c'est notamment pour créer de nouveaux contacts. » Pour la très grande majorité des personnes interrogées, quand on parle du marché du nucléaire en France, il s'agit principalement des 19 centres nucléaires producteurs d'électricité (CNPE), regroupant 58 réacteurs nucléaires et exploités par EDF, ainsi que l'ensemble des sociétés d'ingénierie, des fabricants d'équipements et des fournisseurs de services (groupes industriels, organismes publics de recherche et plusieurs centaines de PME). Selon les chiffres mentionnés sur le site internet de la Direction générale des entreprises (DGE), la filière nucléaire représente, en France, 2 600 entreprises, dont 85 % de TPE-PME, 220 000 emplois directs et un chiffre d'affaires de 50 milliards d'euros (dont 22 % à l'exportation). Pour Olivier Racodon, responsable de l'activité nucléaire et radioprotection chez Fuji Electric France, « l'une des évolutions que connaît le marché du nucléaire d'un point de vue commercial est une orientation de plus en plus marquée vers les marchés émergents tels que la Chine (Taishan), l'Inde, qui affiche un potentiel très important, et la Grande-Bretagne. Cela s'accompagne par une présence accrue auprès des électriciens étrangers, EDF restant pour nous une locomotive ».
Le marché du nucléaire regroupe évidemment les centres nucléaires producteurs d'électricité (CNPE) et les constructions neuves (les EPR), mais aussi l'ensemble du cycle du combustible, de l'extraction du minerai d'uranium au retraitement des déchets et au démantèlement des sites.
Precia Molen
À l'image de l'américain Emerson Automation Solutions ou de l'allemand Krohne, deux fabricants d'instrumentation de process et/ou de vannes, les débouchés du nucléaire vont bien au-delà. « En plus du parc installé des CNPE et des constructions neuves (les EPR), nous sommes présents sur l'ensemble du cycle du combustible, en amont (les mines d'extraction du minerai d'uranium et les usines d'enrichissement) et en aval (le retraitement des déchets), ainsi que les laboratoires de recherche et le nucléaire militaire (sous-marins et frégates, matériel embarqué) », énumère Fabien Perbet, responsable du marché nucléaire chez Krohne France.
« Nous sommes présents tout le long cycle du combustible, mais les étapes en amont et en aval s'apparentent plus à l'industrie de la chimie (pas de cahier des charges nucléaires, pas les mêmes contraintes techniques) », précise Mario Balzano, directeur des ventes Vannes Nucléaire chez Emerson Automation Solutions France. Quant au français Precia Molen, spécialiste mondial du pesage, « nous sommes très peu présents dans les centrales nucléaires, mais bien plus depuis la gestion de la matière première jusqu'à son expédition, le cœur de métier étant l'enrichissement. En plus de la transaction commerciale entre les différentes étapes d'enrichissement, la particularité du cycle du com-bustible est sa surveillance par les agences gouvernementales (Autorité de sûreté nucléaire [ASN] en France ou Agence internationale de l'énergie atomique [AIEA]). Et c'est le pesage qui assure la surveillance, la traçabilité et la gestion des flux matière », ajoute Romain Job, chargé de projets Nucléaire chez le groupe français.
Krohne
Yokogawa Electric
Pyrocontrol
Krohne
Pyrocontrol
Emerson Automation Solutions La qualification des équipements destinés au nucléaire s'accompagne de contraintes fortes au niveau de la conception et de la production desdits équipements. Chaque transmetteur de niveau, chaque capteur de température, chaque vanne de contrôle, chaque enregistreur fait, par exemple, l'objet de contrôles poussés lors de sa fabrication.
Une réglementation encore plus forte
Compte tenu des technologies au cœur des centrales nucléaires et, désormais, des risques accrus de terrorisme et de cyber-terrorisme, on imagine sans mal le niveau des exigences imposées par la réglementation. « Le marché nucléaire est aujourd'hui un secteur très exigeant et très procédurier », atteste Tony Sagnes, directeur commercial Instrumentation chez Yokogawa Electric France. Ce que confirme Pascal Merrien, directeur commercial Énergies au Centre technique des industries mécaniques (Cetim), en ajoutant que, « comme le nucléaire est très réglementé d'un point de vue technique et se distingue par un formalisme très important, les acteurs ont recours à énormément d'essais divers et variés (essais d'étanchéité, tests sur les équipements, contrôles non destructifs [CND]) et aussi des calculs ». « En France, les équipements sont classés selon leur niveau d'exigence pour la sûreté nucléaire. On distingue ainsi les produits qualifiés K1, K2, K3 et non classés », résume Jean-Jacques Grosson, spécialiste du marché nucléaire chez Pyrocontrole (groupe Chauvin Arnoux). Les matériels de catégorie K1, situés à l'intérieur du bâtiment réacteur, assurent leurs fonctions dans des conditions d'environnement correspondant aux conditions de fonctionnement normales, accidentelles et/ ou post-accidentelles, et sous sollicitations sismiques. Il existe également la catégorie Accident Grave (AG), qui correspond à des matériels qualifiés K1 se trouvant au cœur du réacteur. Les équi-pements des catégories K2 et K3 assurent leurs fonctions dans des conditions d'environnement correspondant aux conditions de fonctionnement normales et sous sollicitations sismiques, respectivement à l'intérieur du bâtiment réacteur et hors du bâtiment réacteur. Il existe enfin la catégorie K3ad pour des équipements situés hors du bâtiment réacteur et assurant leurs fonctions dans des conditions d'environnement correspondant aux conditions de fonctionnement en ambiance dégradée (pression, température, irradiation…), et sous sollicitations sismiques.
Romain Job (Precia Molen) poursuit en expliquant qu'« il est devenu beaucoup plus contraignant de développer un produit après l'accident de Fukushima Daiichi, car les niveaux en termes d'exigences de sûreté ont été encore plus poussés. » « Nous avons en effet connu une évolution importante ces dernières années, avec l'accident survenu à Fukushima Daiichi et l'annonce par EDF de l'augmenta-tion de la durée de vie des centrales nucléaires françaises, qui s'est traduit par une fiabilité encore accrue des installations. D'où l'importance de la mesure et la mise en place d'une stratégie d'instrumentation », indique, pour sa part, Pascal Merrien (Cetim). Pour le centre technique, c'est également un effet d'aubaine : « a près un certain recul du nombre d'acteurs, les réglementations plus sévères se sont traduites par un réveil de l'activité. D'anciens composants ont dû être requalifiés, les industriels ont mis en place la surveillance d'équipements et d'infrastructure », explique Céline Cammarata, responsable des ventes Acoustique-Vibrations et HUMS au Cetim.
Une manière de travailler différente
Emerson Automation Solutions
Fuji Electric Si la numérisation des signaux est devenue courante dans les industries, y compris le nucléaire, il existe aujourd'hui un retour vers l'analogique, en raison des fortes exigences que connaît le secteur.
Du côté de Yokogawa, le japonais a, depuis plusieurs années, qualifié ses enregistreurs vidéo. « Cette qualification cristallise notre ADN consistant à mettre l'accent sur la qualité, la traçabilité et la fiabilité des appareils. La qualification nous oblige également à être en mesure de fournir des pièces détachées pendant plus de 25 années après l'arrêt de production de la ligne d'un produit, de maintenir le matériel qualifié, malgré l'éventuelle obsolescence des composants, et d'organiser une inspection en usine menée par le service Qualité de nos clients, tels qu'EDF, lors de chaque lot de fabrication », détaille Tony Sagnes (Yokogawa Electric France).
Au niveau de la production, que ce soit celle d'un enregistreur vidéo ou d'un transmetteur de température, chaque produit doit en effet être qualifié en différentes étapes importantes (soudures, contrôles, etc.), ce qui représente autant de visites de la part du client. « Par exemple, les matériaux utilisés pour les éléments sensibles d'une sonde de température font l'objet d'un circuit spécifique, avec une procédure et une traçabilité particulières. Il est impossible de prendre sur stock le matériau, même s'il s'agit du même que celui utilisé pour des sondes destinées à des industries clas-siques. Ce circuit spécifique s'accompagne de contraintes de délai », indique Jean-Jacques Grosson (Pyrocontrole). À cela s'ajoute une autre contrainte : « t out processus défini (approvisionnement, production, contrôles) ne peut être modifié sans l'accord d'EDF et sans cahier des charges. L'industrie du nucléaire se base sur des retours d'expériences : plus un produit à un REX élevé, plus le degré de confiance est fort », poursuit François Drouin, directeur général de Pyrocontrole.
Comme on le voit, la mise en place d'une telle organisation était donc obligatoire. « Nous disposons d'une Business Unit dédiée aux applications classées et dans laquelle on retrouve notre offre de vannes industrielles avec les critères de disponibilité et de sûreté propres à ce marché (RCC-M [ Règles de conception et de construction des matériels mécaniques des îlots nucléaires REP, NDLR ], SIL 3, accident). Nous venons d'ailleurs de changer d'organisation et nous couvrons bien plus de besoins (vannes de régulation, soupapes de sécurité, clapets anti-retour, etc.), suite au rachat de l'activité Valves & Controls de Pentair l'année dernière », explique Mario Balzano (Emerson Automation Solutions France). Si cette Business Unit est bien dis-tincte des autres activités de la société, elle travaille évidemment main dans la main avec ces dernières.
Ce que confirme Fabien Perbet (Krohne France) en ajoutant que « ces équipes dédiées assurent, en plus de la partie commerciale, la gestion de projets et les relations entre les clients et les usines de production, comme celle de Romans-sur-Isère, aux niveaux de la conception (bureau d'études mécanique, code de construction spécifique), de la qualité (suivi en production), du soudage et des contrôles, jusqu'aux achats. » Pour Precia Molen, l'arrivée sur le marché du cycle du combustible a révélé quelques surprises : « la première chose que l'on a découverte à l'époque a été des relations avec des intégrateurs beaucoup plus fréquentes que dans d'autres secteurs industriels. Nous ne sommes pas maîtres du process, nous intervenons auprès d'intégrateurs qui prennent en charge les aspects documentaires », se souvient Dominique Ribet, responsable marché chez le fabricant du pesage.
La “digitalisation” est la transformation des processus métiers. La numérisation des process industriels permet donc aux différents spécialistes, qui deviennent encore plus spécialisés, de collaborer tout au long de la durée d'un projet, de manière non ambiguë et sécurisée, pour relever les défis métier et soutenir l'innovation et le déploiement de nouveaux projets.
Dassault Systems
Des investissements lourds, mais rentabilisés
u vu de ce qu'expliquent toutes les ersonnes interrogées, en ce qui oncerne les qualifications, la produc-ion, etc., on comprend aisément que e marché nucléaire ne s'ouvre pas aux remiers venus. « Il n'est pas inutile de appeler que travailler pour l'industrie nu-léaire exige, pour les fournisseurs, des inves-tissements lourds dans la traçabilité, la pérennité et la qualité du matériel. Nous avons par exemple investi dans la formation de nos personnels tant au niveau technique qu'au niveau de la sûreté et de la sécurité, afin de garantir un niveau d'intervention élevé répondant aux exigences de l'activité nucléaire et de tout ce qui l'entoure », affirme Tony Sagnes (Yokogawa Electric France).
« Il faut en effet beaucoup de ressources en interne au départ pour développer des appareils spécifiques, qui demandent une réingénierie d'appareils existants pour le nucléaire. Un tel développement nécessite un à deux ans, sans compter la qualification qui prend aussi deux ans. Il faut donc avoir l'assise financière solide, la volonté et la vision à long terme d'une entreprise familiale comme le groupe Krohne pour y parvenir », assure Fabien Perbet (Krohne France). Sans compter non plus des volumes d'unités faibles. Et Jean-Jacques Grosson (Pyrocontrole) de renchérir : « quand on parle de REX, on est sur des industries à cycle relativement long – en tant que groupe familial, Chauvin Arnoux peut s'inscrire dans une collaboration sur le long terme avec ses clients. Mais comme toutes les années ne se ressemblent pas, il faut savoir être patient et se positionner sur des marchés complémentaires. »
Si le marché nucléaire ne représente pas forcément un débouché significatif en termes de chiffre d'affaires pour la grande majorité des sociétés interrogées, il n'en demeure pas moins qu'elles voient désormais fructifier les investissements réalisés. « Les spécificités du marché du nucléaire, relatives aux nombreux niveaux d'exigences du secteur, nous permettent de répondre, avec les mêmes critères, aux autres secteurs industriels », résume Tony Sagnes (Yokogawa Electric France). Parmi ces autres secteurs exigeants, on trouve le pétrole et le gaz, les cimenteries, la sidérurgie, etc. « Nous développons ainsi la même démarche pour la défense, les contrats EPC [ Engineering Procurement and Constr uction , ou I n g é n i e r i e, Approvisionnement et Construction], etc., qui représentent des parts plus importantes de notre chiffre d'affaires. Et nous sommes aussi structurés pour répondre à ces clients », poursuit Romain Job (Precia Molen). « Sur certains points, le marché du nucléaire est en avance, comme c'est par exemple le cas avec les Long Term Agreements , ou accords-cadres, et la maintenance. Nos clients sont en effet très forts en termes de planification de la maintenance, de gestion des pièces de rechange », constate Mario Balzano (Emerson Automation Solutions France).
Retour vers l'analogique !
Comme bien d'autres fabricants, le japonais Yokogawa travaille à la miniaturisation des systèmes de mesure et à la numérisation des signaux, dans les systèmes destinés à l'industrie nucléaire.
Mais Guillaume Pinguet, chef du développement Capteurs chez Fuji Electric prend le contre-pied : « Dans le nucléaire, les transmetteurs de pression classés doivent fonctionner sous des radiations électromagnétiques (des niveaux faibles) et en conditions accidentelles. Même si la fiabilité de l'électronique numérique a été améliorée, les fortes exigences font qu'il est préférable d'éviter les composants purement numériques. On constate un retour à l'analogique . » Le japonais Fuji Electric a donc développé un capteur doté d'une électronique purement analogique, avec aucun traitement de signal, ni composant programmable. « Pour cela, nous nous appuyons sur d'anciennes conceptions, mais en les reprenant de zéro en partenariat avec des laboratoires universitaires. C'est un défi pour Fuji Electric, car on parle d'un gros investissement », affirme Guillaume Pinguet.
Si le marché du nucléaire est en avance sur certains aspects, il connaît par ailleurs les mêmes grandes tendances que l'on rencontre dans l'industrie en règle générale, à savoir la digitalisation (ou numérisation en bon français) et l'industrie du futur, l'Internet des objets industriels (IIoT), la robotique, la cybersécurité ou encore les composites, pour n'en citer que quelques-unes. « L'industrie du nucléaire, de par ses exigences en termes de traçabilité, pérennité, sécurité et sûreté, évoluait jusque-là assez lentement par rapport à d'autres secteurs industriels. Mais, depuis quelques années, tout se bouscule dans les centres de recherches pour tester des solutions innovantes allant vers l'industrie du futur où les solutions de communication interconnectées feront leur apparition (sans-fil, cloud, Big Data, services avec prise en main à distance, remontée d'autodiagnostic permettant d'optimiser la maintenance préventive, logiciel de maintenance avec gestion de bases de données, etc.) », constate Tony Sagnes (Yokogawa Electric France).
La numérisation se déploie aussi dans le nucléaire
La filière nucléaire a commencé, depuis plusieurs années, sa transformation digitale (numérique) sur l'ensemble de la chaîne de valeur, à savoir de la recherche au démantèlement, en passant par la construction, l'exploitation, la maintenance, la formation. « Aujourd'hui, l'innovation technologique s'accélère et transforme en profondeur la filière pour construire l'industrie nucléaire du futur. Avec, comme objectifs, de permettre une baisse significative des coûts, tout en optimisant la qualité, l'efficacité et, donc, la sûreté des installations existantes
et des nouveaux projets. En parallèle, la “digitalisation” du nucléaire civil réinvente les processus industriels et représente une opportunité unique d'attirer la prochaine génération pour construire un socle de compétences d'excellence qui bâtiront les métiers de demain », lance Gérard Kottmann (AIFEN et WNE). La Société française d'énergie nucléaire (SFEN) a d'ailleurs organisé en parallèle du salon WNE la conférence INDEX (International Nuclear Digital Experience), qui a mis en avant les technologies numériques et leurs implications dans la transformation de l'industrie nucléaire.
Pour répondre aux exigences accrues post-Fukushima de stabilité des équipements des centrales nucléaires en conditions sismiques, le Cetim et le FCBA ont mis en place, en 2016, la plate-forme d'essais sismiques Tesseract à Bordeaux.
Cetim
Il s'agit de la préparation, en réalité virtuelle, d'une opération de démantèlement d'une cellule de l'atelier pilote de Marcoule (APM), développée par le CEA.
CEA
Dans le cadre de l'institut tripartite qui réunit EDF, Orano et le CEA, l'objectif est de coordonner les efforts de R&D menés par chacun des membres au pro-fit des grands sujets identifiés comme prioritaires, le numérique en faisant évidemment partie. « Le CEA-List ( Laboratoire d'intégration des systèmes et des technologies) porte des projets comme la cybersécurité ou l'analyse de données et l'intelligence artificielle pour la maintenance pré-dictive. En intelligence artificielle, nous disposons d'ailleurs aujourd'hui d'un pool de 200 chercheurs qui travaillent en étroite collaboration avec des industriels et des acteurs de la sphère publique de tous les secteurs d'activité. Le rôle du CEA-List consiste à développer et à intégrer dans des “systèmes” ce qu'on appelle des “briques technologiques génériques”: il s'agit de technologies suffisamment matures pour être utilisées dans différentes applications industrielles », explique Philippe Watteau, directeur du CEA-List. Lors de l'édition 2018 du salon WNE, l'institut présentait notamment deux démonstrations : le simulateur de réacteur nucléaire EVOC, développé avec l'INSTN pour l'enseignement en réalité virtuelle et augmentée, comporte des éléments physiques « tangibles» représentatifs d'un réacteur réel, tels qu'un pupitre de commande, couplés à un dispositif de réalité virtuelle qui permet de réaliser des formations immersives 4D « grandeur nature ». La seconde démonstration, toujours basée sur la réalité virtuelle, proposait aux visiteurs de s'immerger dans l'environnement d'une « cellule chaude » en cours de démantèlement, dans laquelle ils pouvaient interagir avec le robot qui réalise les opérations via la capture de mouvement et le retour d'effort.
« Parmi les technologies numériques, la possibilité de travailler avec un jumeau numérique représente un complément très intéressant à l'approche standard. Comme il est basé en partie sur des données réelles, le jumeau numérique fournit une connaissance personnalisée des équipements et une bonne prédiction de leur état de santé, ce qui est très important en termes d'exigences de sûreté et de durée de vie. Le jumeau numérique peut être également très utile pour la formation au pilotage de l'installation et à la préparation d'incidents, en permettant de créer des scenarii inhabituels à partir de jeux de données », explique Philippe Watteau.
Instrumentation, cybersécurité, etc.
Comme le marché du nucléaire est très réglementé d'un point de vue technique et se distingue par un formalisme très important, les acteurs ont recours à énormément d'essais divers et variés (étanchéité, tests sur les équipements, contrôles non destructifs) et aussi des calculs.
Cetim
Pour Thomas Grand (Dassault Systèmes), « la “digitalisation” va au-delà de la modification des outils, tout en continuant à travailler de la même façon (par exemple, passer de la saisie manuelle de valeurs à des scans) : c'est la transformation des processus métiers, chaque spécialiste devenant encore plus spécialisé. D'où l'obligation d'inventer une nouvelle façon de collaborer, plus simple, plus transversale – notre plateforme 3Dexperience sert de “base” pour assurer la continuité entre les métiers. La numérisation des process industriels permet donc aux diffé-rents spécialistes de collaborer tout au long de la durée d'un projet, de manière non ambiguë et sécurisée, pour relever les défis métier et soutenir l'innovation et le déploiement de nouveaux projets ».
Grâce à la numérisation des données et aux nouveaux outils numériques, les opérateurs peuvent simuler les proces-sus métier et modéliser, en détail, les processus de construction et d'installation en s'appuyant sur des données 3D fusionnées avec les données de planning et de disponibilité des ressources. Les bénéfices sont évidents : des délais et des coûts de construction réduits, une augmentation des performances opérationnelles, de la qualité et de la sûreté des centrales ainsi conçues. Les entreprises peuvent par ailleurs garantir la traçabilité complète de toutes les informations d'un projet relatives aux activités sur le terrain, au suivi des matériaux, au statut d'appro-visionnement ou à l'état d'avancement des livrables d'ingénierie, même en cas de changement de personnels.
Fuji Electric Commercialisée depuis des années au Japon, l'offre en radioprotection de Fuji Electric fait désormais son apparition sur le marché européen. On retrouve le dosimètre électronique individuel communiquant NRF 50 et le radiomètre à neutrons NSN 3 basés sur une mesure de gaz (ici en photographie).
« Maintenir l'équilibre entre les exigences de sûreté, l'état réel de l'installation et la façon dont elle est documentée constitue la gestion de configuration et est crucial pour assurer à la fois la sûreté de l'installation et son exploi-tation de manière efficace. Chez les exploitants d'installations anciennes, il peut s'agir d'un jumeau numérique de base, consistant en la gestion de configurations d'anciens documents et de plans scannés, de relevés laser ou photographiques de l'installation. Cela représente un gain très important pour le lien entre exploitants et ingénierie au quotidien », expliqueThomas Grand. Pour les installations neuves, le jumeau numérique peut être beaucoup plus riche et embarquer les modèles 3D d'ingénierie, des codes de calculs, des algorithmes ; il est ainsi réellement vivant « in silico », grâce à la connexion aux capteurs situés sur les équipements physiques et aux données d'inspection acquises par des drones (volants, roulants…) alimentant ce modèle en données à jour.
« Avec l'Industrie 4.0 et l'Internet des objets, toute l'industrie, y compris le secteur du nucléaire, met des infrastructures complètes sous surveillance, ce qui s'accompagne du déploiement de capteurs communiquant en temps réel avec les personnels (connaître la durée de vie résiduelle pour anticiper la maintenance) ou dont les mesures serviront à une reconception plus juste. Le Cetim propose HUMS ( Health and Usage Monitoring System ), une nouvelle offre d'accompagnement des industriels dans la mise en place de systèmes de surveillance “intelligents” de leurs machines et structures en fonctionnement (analyse du besoin client, rédaction d'un cahier des charges, réalisation du capteur, collecte et analyse des données, etc.) », explique Céline Cammarata (Cetim).
« La cybersécurité représente un autre enjeu de la numérisation. Le CEA-List a développé l'outil Frama-C basé sur les méthodes formelles, qui établit la preuve mathématique de l'absence d'erreurs dans le code embarqué d'un système de contrôle-commande. Si ces méthodes visent la sûreté, elles sont aussi adaptées à la cybersécurité. Les hackers cherchent les bugs donc, en absence de bugs, ils passent leur chemin », poursuit Philippe Watteau (CEA-List). Et si l'on ajoute les engins autonomes,la fabrication additive, l'intelligence artificielle, etc., le marché du nucléaire est un secteur encore plein de promesses technologiques à venir.
On entend souvent parler de l'intelligence artificelle (IA), mais pour beaucoup, elle n'en reste pas moins mystérieuse. La science-fiction, notamment,…