L'essentiel
De plus en plus d'objets sont capables de se connecter et de transmettre de l'information. Ils forment un réseau amené à s'étendre, qualifié d'Internet des objets. Chaque application a ses problématiques propres, auxquelles peuvent répondre des solutions technologiques différentes. Les systèmes autonomes imposent des contraintes matérielles à prendre en compte dès la conception, en particulier concernant la consommation d'énergie. Les réseaux de capteurs sont des systèmes complexes dont il faut simplifier aux mieux les architectures. |
Avec la miniaturisation de l'électronique embarquée et la multiplication des moyens de communication, de plus en plus d'objets communiquent. Selon Cisco, ils ont dépassé en 2008 le nombre d'humains sur Terre, et pourraient être 50 milliards en 2020. Cette tendance ne serait donc qu'un début. Les systèmes communicants gagnent de nouveaux marchés, notamment ceux des objets grand public. Les fabricants d'électroménager imaginent ainsi que dans quelques années tous ces équipements seront capables de communiquer entre eux et d'être pilotés à distance. On connaît aujourd'hui le smart metering , la mesure intelligente. Nous nous dirigeons vers le smart everything , où tous les objets bénéficieront de cette intelligence.
Capteurs, smart-phones, ordinateurs, puces RFID, serveurs, badges… C'est un véritable Internet des objets qui se construit ainsi petit à petit, où l'information joue un rôle de plus en plus central, et permet d'accompagner un produit par de nouveaux services. « Les technologies sont matures, on sait que l'on peut communiquer avec de petits objets », assure Cédric Chauvenet, ingénieur R&D chez le fabricantWatteco. Selon le cabinet Machina Research,le marché du“M2M”, c'est-à-dire de la communication de machine à machine, devrait peser 714 milliards d'euros en 2020, en comptant les équipements et la connectivité. Il représentait 91 milliards en 2010. En 2016, les opérateurs de réseaux pour mobiles devraient tirer 26 milliards d'euros de recette du M2M, selon ABI Research.
Le secteur de l'énergie, avec le réseau intelligent de distribution, est la source de nombreuses applications des technologies M2M.
ActilityDe nombreux acteurs sont impliqués dans cette évolution. Le matériel est la première brique de la chaîne: mesure et calculs embarqué génèrent la donnée à partager, transmise par la partie communicante du système. Le traitement des données doit être optimisé, de façon à minimiser l'énergie nécessaire au fonctionnement du système. Le réseau doit être adapté à la spécificité de l'application, et les fournisseurs de service ont à s'adapter aux besoins des clients. Enfin, les données accumulées peuvent être exploitées de multiples façons, et par différents logiciels.
Les applications liées au principe du M2M sont extrêmement diversifiées. Il peut s'agir de supervision, de mesure ou contrôle à distance, d'optimisation énergétique… « Il y a un très gros appel d'air avec le réseau intelligent, dans le secteur de l'énergie », estime Olivier Hersent, Pdg du fournisseur de solutions logicielles Actility. «Aujourd'hui, la géolocalisation représente le gros du marché, ajoute Cyril Hullin, Pdg de l'opérateur de réseau mobile virtuel Mobiquithings. A l'avenir,il s'agira plutôt de la mesure intelligente, plus statique, et de besoins de type commande et contrôle.»
Le but est en général d'offrir à l'utilisateur un système le plus simple possible. C'est ce que l'on peut observer, par exemple, avec les logiciels MES, qui exploitent de nombreuses données de production dans les usines et proposent des interfaces intuitives. « Le M2M ne signifie rien pour les utilisateurs finaux », estime Maurice Zembra, Pdg de l'éditeur logicielVertical M2M. « Seules les applications métier ont un sens. Il faut s'intéresser aux problématiques du client, comme la gestion de la qualité de service, la réduction des coûts d'opération, de maintenance, etc.»
D'ailleurs, le principe n'est pas une nouveauté pour les industriels. « Les chercheurs considèrent la technologie des réseaux de capteurs-actionneurs comme une technologie de rupture, là où les industriels font de l'instrumentation automatisée depuis longtemps », observe Guillaume Chelius, Pdg du fabricant Hikob, une startup créée par des chercheurs de l'Inria. « Hier, on transmettait les données de point à point, sans une logique de système d'information telle qu'elle existe aujourd'hui », continue Maurice Zembra (Vertical M2M). Dorénavant, « il faut gérer des flux d'information, et plus des données brutes.» Ainsi, une température doit être corrélée à d'autres paramètres, et sa mesure peut servir à lancer un système de régulation ou une alarme.
L'ensemble de la chaîne de communication et de traitement des données met en jeu de nombreuses technologies. « Les barrières technologiques au déploiement sont presque toutes tombées », assure Olivier Hersent (Actility). Mais certains des problèmes à résoudre pour mettre en place un système communicant sont extrêmement complexes. « Il y a de nombreuses contraintes, mais autant de solutions » , résume Guillaume Chelius (Hikob). Des solutions à choisir avec précaution, car « les échecs de déploiement viennent en général d'une mauvaise adéquation entre la technologie et le besoin.»
Sur les plates-formes matérielles, « la communication,le traitement embarqué des données,l'énergie, le dimensionnement… tout est lié », note Guillaume Chelius. « Les capteurs de terrain viennent de l'équipement militaire, ils sont conçus pour résister à des environnements hostiles », explique Cédric Chauvenet (Watteco). La robustesse est un point central: un capteur doit être fiable, car miser sur la redondance représente un coût trop important pour une entreprise. Et ceci à long terme: pas question de remplacer tous les dix ans les capteurs disséminés le long d'une autoroute ou dans un bâtiment intelligent.
Le but des applications métier est généralement de masquer la complexité des systèmes de communications entre machines.
EstiaWatteco propose, entre autres, des capteurs de mouvement, de CO2 ,detempérature, d'humidité, de lumière, ou encore de consommation électrique. De plus en plus de mesures sont possibles grâce à des composants toujours plus compacts: instrumentation d'une route, d'un bâtiment, d'un environnement, d'une machine ou d'un véhicule… L'entreprise Movea exploite par exemple des gyroscopes, accéléromètres, capteurs de pression ou magnétomètres pour instrumenter des objets dans le domaine du sport ou de la médecine. Elle a ainsi mis au point une raquette de tennis pour analyser le jeu de l'utilisateur.
Certains capteurs, et l'électronique qui les accompagnent, sont conjoints à des installations fixes, alimentés par le réseau électrique et connectés à des infrastructures de télécommunications. Mais certains doivent être autonomes en énergie. Or, les batteries demeurent une contrainte importante, de par la nécessité de les recharger, leur impact négatif sur l'environnement, ainsi que leur taille et leur poids. En effet, la loi de Moore, qui décrit la miniaturisation des circuits informatique, ne s'observe pas avec le stockage d'énergie. « Il vaut mieux parier sur l'économie », conseille Cédric Chauvenet (Watteco). L'architecture, le système d'exploitation, les protocoles de communication et même les circuits dépendent de cette contrainte. Et tous les paramètres entrent en compte : la consommation en veille, les communications radio, les pics de courant, la durée d'activité, la chauffe des composants électroniques (capteurs, microcontrôleurs…), etc.
Modéliser la solution optimale
Chaque application M2M est un cas particulier, dont la conception est pluridisciplinaire. Les communications doivent-elles être unidirectionnelles ou bidirectionnelles? La transmission doit-elle être périodique ou sur événement? Quelle distance maximale peut-on autoriser entre deux nœuds du réseau? Ces questions et bien d'autres, mettant en jeu une multitude de paramètres interdépendants, se posent au moment de la mise au point. Pour guider les concepteurs, le groupe Microsystèmes et capteurs autonomes de l'ESTIA a développé le logiciel Osccar, outils de simulation pour la conception de capteurs autonomes en réseau. Il a pour objectif d'aider au choix des composants et au dimensionnement du système. En partant des spécifications de l'application, telles que la quantité de données à émettre, à recevoir, ou la périodicité d'une mesure, le logiciel applique des modèles pour simuler différentes configurations. Il propose alors différentes possibilités, en incluant le protocole de communication le plus adapté ou l'impact des différents composants sur la consommation. Ce qui permet d'évaluer, par exemple, de combien l'ajout d'un panneau solaire peut rallonger la durée de vie du produit, ou de déterminer la fréquence de fonctionnement la plus économe pour le système. Le laboratoire est prêt à mettre cet outil à disposition des industriels et autres laboratoires intéressés, et cherche à développer une communauté d'utilisateurs pour le faire évoluer et l'enrichir de nouveaux composants. |
Dimensionnement, traitement embarqué des données, consommation d'énergie, système de communication : toutes les caractéristiques des capteurs communicants sont liées.
Ainsi, un système autonome devra rester en veille le plus longtemps possible pour minimiser sa consommation d'énergie: jusqu'à 99,9% du temps. Certains capteurs, tels que ceux proposés parWatteco, peuvent sortir de leur état de veille en quelques microsecondes, voire quelques centaines de nanosecondes. Cela peut être déclenché par exemple de façon périodique, ou à la réception d'un signal. La meilleure manière de provoquer le “réveil” d'un système reste un problème auquel de nombreuses recherches sont encore consacrées. Une fois opérationnel, le microcontrôleur associé au capteur doit effectuer sa tâche rapidement, afin que l'ensemble puisse retourner à l'état de veille au plus vite.
Une autre voie d'amélioration de l'autonomie est de miser sur la récupération d'énergie. « Dans l'environnement proche, celle-ci est en théorie illimitée », estime Renaud Briand, Enseignant-Chercheur à l'ESTIA (Ecole Supérieure des Technologies Industrielles Avancées) et directeur R&D d'Aquitaine Electronique. Il faut en identifier les sources: elles peuvent être solaires, mécaniques, électromagnétiques avec l'induction, et même chimiques, en exploitant la sève des arbres. Mais toutes ces possibilités ne sont pas exploitables concrètement pour des applications industrielles aujourd'hui. « D'ici 2015, il sera possible de capter les vibrations d'une route pour recharger un capteur par piézoélectricité », estime Guillaume Chelius (Hikob).
Malgré les contraintes de taille,d'autonomie, de puissance ou de prix, les objets communicants doivent être performants et capables d'assumer de nombreux rôles. « L'application doit être prévue dès la conception des systèmes et réseaux », prévient Renaud Briand (ESTIA). « Le s applications possibles sont innombrables, elles peuvent être très différentes les unes des autres, et présenter des caractéristiques contradictoires ». C'est pourquoi l'ESTIA a mis au point un logiciel d'aide à la conception, Osccar, pour simuler le fonctionnement et l'efficacité énergétique d'un système en fonction de ses composants (voir encadré) .
Les architectures des réseaux de capteurs peuvent être très complexes, mais en raison des contraintes liées à l'autonomie des appareils, on limite généralement le nombre de points relayant l'information en privilégiant des architectures simples.
HikobLorsque l'on considère l'impact des transmission s radio sur l'autonomie, un mot d'ordre s'impose: réfléchir avant de communiquer. La transmission d'information engendreune grosse consommation d'énergie: « Une opération radio coûte mille fois plus d'énergie qu'une opération sur un microcontrôleur » , indique Cédric Chauvenet. Pour autant, « la communication radio n'est pas toujours la consommation la plus importante », précise Guillaume Chelius (Hikob). Car un système transmet généralement moins d'informations qu'il n'en calcule. «Ainsi, une technologie qui paraît pertinente peut ne plus l'être si on rentre dans les détails.»
De nombreux modes de transmission sont envisageables. «Aujourd'hui, les standards nécessaires sont définis par les organismes de standardisations comme l'IEEE,l'IETF ou l'ETSI,et sont promus et testés par des alliances industrielles », observe Cédric Chauvenet (Watteco). Homeplug, G3-PLC, et Prime ont ainsi choisi le courant porteur en ligne (CPL). Enocean, Ipso, Dash7, Wave2M, Zigbee et Zwave se sont en revanche portés sur les ondes radio.
Au sein d'une même al-liance,les produits sont généralement compatibles les uns avec les autres.A l'issu de sa troisième réunion sur le M2M, en octobre, l'ETSI (Institut européen des standards de télécommunication) estimait que les standards mis au point étaient bien adoptés.
De nombreux standards de communication existent pour transmettre des informations de machine à machine. Plusieurs alliances industrielles ont fait le choix d'en promouvoir un en particulier.
KontronLorsque deux applications exploitent des protocoles différents ou propriétaires, il est possible d'utiliser des passerelles d'agrégation des standards. Cependant c'est le protocole IP qui est le plus largement déployé au niveau mondial. Il permet de déployer un réseau “agnostique”, qui autorise toutes les applications, et il est familier pour la plupart des développeurs. Il n'y a donc plus besoin d'avoir un bus de terrain par application.
Le problème de la conception d'une application M2M devient encore plus complexe lorsque l'on considère un ensemble de capteurs. Comment les faire communiquer ? Faut-il centraliser la collecte des données? Combien de sauts l'information peut-elle effectuer? A quelle distance? Combien de nœuds peut compter le réseau? Peuvent-ils être mobiles? Là encore, de nombreuses possibilités existent, et cela demeure un important sujet de recherche. Actuellement, les architectures simples sont privilégiées, avec par exemple un simple saut, du capteur vers un système de traitement plus puissant, éventuellement alimenté, capable de redistribuer les informations.
Faire basculer une connexion câblée vers un lien radio implique de nouvelles difficultés. « Le sans-fil est moins coûteux quand il y a peu de données àtrans-ettre.Le prix fait donc peser la balance en faveur de cette solution », note Cyril Hullin (Mobiquithings).
« Mais la principale faiblesse actuelle est le risque de la rupture de connexion.» Car sa disponibilité est aléatoire: il existe des zones grises, mal couvertes, pour chaque opérateur. « Un objet mobile qui perd sa connectivité peut la retrouver plus loin, mais lorsqu'une application statique la perd, cela peut coûter cher.» À ces contraintes s'ajoutent selon le Pdg de l'opérateur M2M un manque de visibilité sur la pérennité entre les réseaux de téléphonie mobile de 2 e et 3 e génération, ainsi qu'un manque de flexibilité pour les tarifs. C'est pourquoi l'entreprise propose une solution capable de sélectionner le meilleur réseau à tout moment, pour ne pas rompre la connexion, que ce soit en 2G, 3G ou LTE demain.
Gérer les données d'un système M2M relève aujourd'hui d'une véritable logique de système d'information, et non plus d'une logique de communication de point à point.
Vertical M2MFace à la complexité de la conception d'un système M2M, de nombreuses entreprises proposent des solutions à différents niveaux de la chaîne. Hikob ou Watteco fournissent des capteurs communicants, Kerlink des interfaces pour connecter les équipements, Mobiquithings commercialise des solutions de connectivité, et il existe plusieurs réseaux de communication dédiés spécifiquement au M2M (voir encadré) . Vertical M2M développe des applications métier, et beaucoup de logiciels aujourd'hui prennent en compte la problématique de la communication entre machines.
Des kits ou plates-formes de développement existent pour les entreprises souhaitant mettre au point leurs propres applications: on en trouve par exemple chez Kontron ou Wind River. Ceux-ci ont notamment pour objectif de prendre en charge les questions de sécurité spécifiques aux communications M2M.Ainsi, bien que de nombreuses recherches visent à repousser les limites techniques actuelles, des solutions concrètes existent déjà pour ré-pondre aux spécificités de nombreuses applications M2M.
Des réseaux adaptés au M2M
Les communications M2M sans fil bénéficient aujourd'hui d'offres spécialisées de la part des opérateurs. Les coûts ont ainsi diminué, et Orange, Bouygues ou SFR proposent des forfaits et services dédiés au M2M. Les arguments avancés sont la fiabilité de la connectivité, la sécurisation du réseau, et l'adéquation aux besoins de consommation. Mais il existe également des opérateurs dédiés au M2M. Mobiquithings, opérateur virtuel, repose sur les réseaux existants pour sélectionner à tout moment la meilleure connexion. La société Sigfox propose un réseau cellulaire bas débit entièrement dédié aux communications Machine to Machine et à l'Internet des objets. Elle part du constat que ces applications ont des besoins techniques spécifiques. L'opérateur toulousain propose donc des communications bas débit, de 10 bits à 1 kilobit par seconde. Ce service utilise la technologie radio “UNB” ( Ultra Narrow Band ), qui exploite les bandes de fréquences libres sur un spectre très étroit, ce qui nécessite moins d'antennes à couverture égale que le GSM, et minimise le coût d'exploitation. Plus spécifique, M2ocity exploite un réseau dédié à la télérelève, auquel peuvent se raccorder tous types de compteurs communicants, pour traiter par exemple des données de consommation d'eau et de gaz. |