Nous Devons Croire En Nos Atouts Pour Créer L'industrie Française De Demain

Le 01/06/2013 à 0:00

Mesures. Lors du dernier salon Industrie, le Symop a rappelé la nécessité de favoriser l'innovation et de développer l'investissement productif des entreprises françaises afin d'accroître leur compétitivité.Quelles sont les actions initiées par le syndicat dans ce domaine?

Gilles Gaubert. L'idée première est de convaincre nos industriels que tout est encore possible, du moment que l'on s'en donne les moyens. Pour être compétitives et résister à la concurrence,nos usines doivent se moderniser et viser l'excellence. La campagne “Productivez!”,lancée par le Symop,s'inscrit dans cette logique. Elle rappelle que l'investissement dans l'outil productif est la seule réponse qui conduira à stopper le déclin de l'industrie française, et à repartir de l'avant: investir dans son outil de production permet d'augmenter sa compétitivité (avec des produits de meilleure qualité, une réduction des rebuts, des coûts de fabrication, etc.), mais aussi de se valoriser auprès de ses interlocuteurs.Ainsi le Symop a lancé en début d'année la première campagne des labels “Productivez!”, destinée à récompenser les entreprises qui ont investi pour moderniser leur outil de production. Le 10 avril dernier à l'Assemblée nationale, 26 entreprises se sont vues remettre ces précieux labels.Il s'agit de sociétés qui opèrent dans des domaines d'activité aussi variés que la métallurgie, la mécanique de précision, l'emballage, l'aéronautique, l'ameublement ou encore l'industrie du bois. Mais elles ont un point commun : chacune d'entre elles a gagné en compétitivité en conservant, voire en augmentant l'emploi. Et elles sont également bien décidées à valoriser ces labels auprès de leurs clients, en France et à l'étranger, pour afficher cette dynamique!

Il ne peut y avoir de pays puissant et influent sans une industrie forte. ” Gilles Gaubert

La campagne “Robotcaliser”, qui a récemment abouti à la mise en place du dispositif Robot Start PME, est basée sur le même principe. Il s'agit de robotiser pour ne pas délocaliser, autrement dit de valoriser la robotisation comme une alternative à la délocalisation. Robot Start PME s'adresse aux primo-accé-dants: unaccompagnement leur est proposé pour les aider à franchir le pas lors de l'achat du premier robot, clé d'accès à une optimisation du process de production.Enfin,n'oublions pas que le Symop organise aussi en permanence pour ses adhérents des groupes de travail sur ces thématiques.

Mesures.Comment le Symop peut-il favoriser l'exportation des technologies de ses adhérents?

Gilles Gaubert. En développant, pour les entreprises fabriquant en France, le “savoir exporter”! Et en bâtissant de véritables stratégies adaptées aux différents groupes du Symop. Rappelons en effet que nos adhérents sont regroupés par profession (Emballage, Robotique, Mesure, Papier, etc.). Ces groupes développent à l'export de véritables PAC (Plans d'action commerciaux), qui ont la force d'une profession réunie autour d'un objectif commun. Ainsi le groupe “Machines pour l'emballage et le conditionnement”,qui comporte des champions de l'export comme Sleever International, Cermex ou PKB, cible particulièrement les marchés à forte croissance (Brésil, Mexique, Arabie Saoudite, Indonésie). Sur ces marchés, et sur les salons que nous choisissons, les entreprises agissent de façon regroupée, organisent des conférences et sont une vitrine de la technologie française. Ce regroupement de sociétés réputées leur donne un poids et un impact bien supérieurs à ceux qu'une seule d'entre elles posséderait! Il encourage aussi d'autres sociétés françaises à bénéficier de cette expérience pour exporter à leur tour.

Gilles Gaubert, chargé de professions et responsable international au Symop

Symop

Gilles Gaubert, 55 ans, est chargé de professions et responsable international au Symop (Syndicat des machines et technologies de production).

Issu d'une formation technique en mesures physiques, suivie d'un Master II en développement commercial, il a effectué toute sa carrière au sein de sociétés de hautes technologies, telles que Schlumberger Industries, Transamerica Instruments (ex-Bell et Howell), IBS Precision Engineering ou encore Solartron Metrology. Son parcours l'a amené à travailler plus de cinq années en Angleterre comme Directeur commercial Monde pour Solarton Metrology Ltd. Dans cette activité BtoB, en responsable Marketing et Commercial, il a beaucoup voyagé en Europe, aux Etats-Unis et dans le Sud-Est asiatique (Japon, Corée du Sud et Chine).

Autre exemple, le groupe “Machines à papier” organise chaque année un colloque dans un pays à fort potentiel. En novembre prochain, la profession française sera rassemblée en Indonésie: en deux conférences d'une journée chacune, nous rencontrerons la quasi-totalité des décideurs de l'industrie papetière indonésienne. Signe de l'intérêt que présentent ces actions pour notre pays, c'est l'ambassadeur de France qui ouvrira notre colloque à jakarta. Ainsi, nous bâtissons pour chaque groupe, toujours dirigé par un chef d'entreprise, des stratégies à l'international destinées à remplir les carnets de commande.

Il est important par ailleurs de souligner l'importance de la complémentarité et des synergies entre nos adhérents. Beaucoup voient leurs produits partir à l'export après les avoir vendus à des sociétés exportatrices. La découverte et la mise en place de ces synergies sont au cœur de notre démarche, et répondent à une forte demande de nos adhérents.

Mesures.Quels sont les projets en cours ou à venir qui concernent plus particulièrement le domaine de la mesure et du contrôle?

Gilles Gaubert. nous souhaitons que les secteurs de la mesure et du contrôle s'impliquent encore plus dans la campagne “Productivez!”. nos entreprises souffrent plutôt d'un déficit de mesures et de contrôles par rapport aux champions internationaux de l'industrie comme l'Allemagne… En valorisant la réussite d'entreprises ayant gagné en compétitivité grâce à ces technologies, nous souhaitons sensibiliser les secteurs clients.

nous travaillons aussi sur les événements phares de la profession. Pour le prochain salon Mesurexpo, par exemple, nous prévoyons un cycle de conférences dédiées à la mesure et à la vision. D'autre part, nous veillons également à la mise en place de synergies entre nos adhérents (car nos fabricants de machines sont des utilisateurs d'appareils de mesure et de contrôle), et nous réalisons des présentations sur des sites industriels majeurs. Enfin, les formations à la mesure 3D assurées dans le cadre du Coffmet (1) sont un bon exemple du type d'actions que nous menons au service de la profession.

Mesures. L'essor de la compétitivité française exige avant tout une modernisation de l'équipement de production. Les instruments de mesure et de contrôle ont-ils aussi un rôle à jouer dans cette évolution?

Le décolleteur Bouverat-Pernat a misé sur l'innovation pour accroître sa compétitivité. Cette évolution a nécessité un investissement dans l'outil productif, mais aussi dans les équipements de mesure et de contrôle. Pour Gilles Gaubert (Symop), l'un ne va pas sans l'autre…

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Gilles Gaubert. Ils ont un rôle majeur! Si l'industrie française n'est pas dynamique,forte et innovatrice,on peut craindre que le marché de la mesure et du contrôle soit atone. Dans le même temps, il est inimaginable qu'un pays puisse être leader dans l'industrie sans une utilisation massive et optimisée des systèmes de mesure et de contrôle.C'est pourquoi notre campagne “Productivez” s'applique totalement aux équipements de mesure,contrôle et vision. En voici deux exemples. Le premier concerne la mise en place d'un gravage laser assisté par vision dans l'industrie horlogère.Là où le procédé d'origine consistait à positionner manuellement les couronnes de montre, le nouveau système permet, au micromètre près, d'effectuer le travail en totale autonomie sur un lot complet de pièces avec un cycle raccourci de 20 heures.Autre exemple dans le domaine médical avec l'usinage de prothèses et d'outils chirurgicaux en inconel et en titane: dans ce cas, c'est le recours à un nouveau système d'étalonnage de machine-outil qui a permis de diminuer les temps de réglage et les taux de rebut de façon très significative.

Il faut bien voir que la mesure et le contrôle sont des conditions sine qua non pour devenir un acteur majeur de l'industrie. Ils permettent de contrôler et régler les moyens de production, de faire de la maintenance préventive, de choisir et d'optimiser le process, et de garantir au final des produits conformes. En visitant des usines à l'étranger, nous prenons conscience de notre retard, mais aussi de notre chance: il existe en effet un potentiel d'amélioration important si l'on porte un autre regard sur la mesure et le contrôle… En modifiant la perception de nos industriels, nous atteindrons un double but : rendre l'industrie française plus compétitive, et vendre un plus grand nombre de systèmes de mesure.

Mesures. Au cours de ces dix dernières années,la France a perdu 750000 emplois industriels, et 900 usines ont fermé en l'espace de trois ans… Est-il encore temps d'amorcer un nouveau virage et de redresser le cap?

Gilles Gaubert. Bien sûr! Le fait que certaines usines ferment ne serait pas inquiétant en soi si d'autres s'ouvraient. Le monde industriel est en mutation, la compétition avec de nouveaux entrants est de plus en plus rude, les zones de croissance se déplacent et les problématiques changent.Dans ce nouvel environnement, il est nécessaire de faire les bons constats, d'adopter les bonnes stratégies, de mobiliser toutes nos énergies et d'y croire. Il faut parfois passer les frontières pour prendre conscience que notre pays conserve encore de nombreux atouts, et que notre image est souvent excellente!

Les actions du Symop se situent au cœur de ce combat. Elles affirment qu'avec de la volonté, il est possible de réussir. Pour cela, il faut aller de l'avant et ne surtout pas céder à un certain défaitisme ambiant. La campagne “Productivez !” attire l'attention sur le fait qu'une usine doit être à la pointe des techniques en termes d'organisation, de logiciels, de machines, de robots, de formation du personnel… Sans cela, il n'y a pas de salut ! D'autre part, nous proposons des solutions concrètes pour répondre à tous les sujets qui préoccupent nos industriels. Le financement est-il un problème ? Si oui, il existe des solutions pour l'investissement au travers de la Fim (Fédération des industries mécaniques) et de ses branches financières. La croissance européenne est en berne ? Le syndicat bâtit des stratégies à l'export par profession sur les marchés en forte croissance (5, 6, 7 % et plus)…

Mais il faut prendre conscience que nous sommes à un moment clef de notre histoire industrielle; la sévérité de la crise qui touche tous les domaines de l'économie prouve que nous ne nous sommes pas suffisamment préoccupés de notre outil de production. Or il ne peut y avoir de pays puissant et influent sans une industrie forte. Aujourd'hui, la prise de conscience est réelle. Aussi ne sombrons pas dans le défaitisme, mais relevons nos manches et faisons de 2013 le point d'inflexion. L'ambition est énorme, le challenge est immense, mais il est passionnant et propre à motiver les meilleurs.

Mesures. Quels sont selon vous les atouts de l'industrie française, et les secteurs où elle excelle?

Gilles Gaubert. nous disposons d'entreprises industrielles championnes dans le domaine de l'aéronautique, le luxe, l'agroalimentaire, l'énergie,la chimie,ou encore la pharmacie… Des entreprises reconnues dans le monde entier, qui montrent le chemin à toutes les autres. nous sommes aussi un pays dynamique, avec une jeunesse formée, ouverte sur le monde,curieuse et qui recherche des projets de vie motivants.

Il faut convaincre nos industriels que tout est encore possible, du moment que l'on s'en donne les moyens. ” Gilles Gaubert

Par son histoire, la France conserve une image et une réputation flatteuses sur le plan des idées, des arts, du luxe, des technologies et du savoir-vivre à la française. nos amis allemands utilisent une expression pour cela: «être heureux comme Dieu en France» . Cela en dit long sur notre image à l'étranger.

De plus la francophonie est un formidable atout pour l'avenir. Le français, parlé par 220 millions de personnes, est la cinquième langue au monde derrière le chinois, l'anglais, l'espagnol et le hindi. Si nous réussissons à maintenir notre enseignement du français en Afrique et en Asie, elle sera dans quarante ans la quatrième langue au monde, parlée par près d'un milliard de personnes. Enfin la marque France est selon moi l'une des plus belles. je vois ainsi de nombreuses raisons d'espérer. C'est à nous de savoir utiliser tous nos atouts pour créer et pour réinventer l'industrie française de demain.

Mesures.Notre industrie ne souffre-t-elle pas aussi d'un certain nombre de faiblesses?

Gilles Gaubert. j'en vois surtout trois… Il y a tout d'abord une certaine difficulté à accepter les changements. Cela nous concerne tous, employeurs et employés. Par ses campagnes de lobbying et d'information, le Symop met en exergue la nécessité de compréhension et d'anticipation intellectuelle qu'impose la compétition dans laquelle nous sommes plongés, en particulier pour un pays qui souhaite continuer à jouer dans la cour des grands. A l'époque de la mise en place de Reach (2) ,j'avais été surpris par les réactions hostiles de certains industriels français, qui avaient l'impression qu'on leur mettait des bâtons dans les roues. Pourtant ces réglementations s'inscrivent dans une volonté de préservation de l'environnement. Il s'agit là d'un formidable moteur économique (à condition d'en être à la pointe). Dans certains pays, nos réglementations environnementales européennes sont considérées comme de véritables jalons pour le futur.

L'autre faiblesse de notre industrie est due à notre lourdeur administrative. Le Symop s'est penché sur ce problème. Il s'occupe notamment de démêler les écheveaux administratifs qui perturbent la vie des entreprises en les informant, et en mettant à leur disposition des spécialistes dans les domaines juridiques ou financiers, par exemple.

Enfin nous avons aussi une certaine difficulté à travailler ensemble. Se serrer les coudes, partager nos expériences, monter des actions communes,être fier d'être un industriel fran-çais,fier du“ made in France ”: voilà ce qui nous guide pour piloter les actions du Symop, en particulier à l'export. un état d'esprit que les Allemands pratiquent avec succès depuis de nombreuses années…

Mesures. Malgré les opportunités de car-rière qu'elle offre,l'industrie française est confrontée à des difficultés croissantes en termes de recrutement,y compris dans des domaines très dynamiques comme l'aéronautique. Comment expliquez-vous que nos entreprises peinent à pourvoir les emplois disponibles?

Gilles Gaubert. L'industrie souffre d'un déficit d'image, et celui-ci n'a fait que s'accentuer au cours de ces trente dernières années. D'autres secteurs sont pourtant parvenus à se construire une belle identité et une grande attractivité auprès des jeunes. Pour inverser la tendance, il faut que l'industrie française croit de nouveau en sa chance et développe une vision ambitieuse pour le futur. C'est à elle de montrer toute sa technicité, sa richesse et l'avenir de ses métiers. Il faut qu'elle soit séduisante, ouverte et moderne. C'est un travail de longue haleine qui nous attend. On ne répare pas rapidement ce qui s'est dégradé durant plusieurs années. Pour attirer les jeunes vers l'industrie, il faut que celle-ci offre des postes bien rémunérés, intéressants et pé-rennes. Pour cela, l'industrie française doit réussir et se développer. un syndicat comme le Symop participe à ce chantier et s'engage sur le terrain aux côtés des entreprises. Certaines sont des leaders sur leurs marchés, d'autres sont des start-up, mais l'envie reste la même. Il faut innover, inventer, investir, exporter avec en-thousiasme. L'industrie est passionnante, et comme toute activité humaine, elle ne s'accomplit que si elle est portée par l'envie et l'intelligence. Pour conserver un niveau de vie élevé, nous devons viser les segments de marché à forte valeur ajoutée, prendre et conserver une longueur d'avance sur nos concurrents. C'est uniquement ainsi que nous motiverons nos jeunes à nous rejoindre. Il existe aujourd'hui de nom-breuses entreprises qui suivent cet exemple. Mobilisons-nous pour les multiplier.

Aller de l'avant et ne surtout pas céder à un certain défaitisme ambiant. ” Gilles Gaubert

Mesures. Quelles sont les mesures concrètes qui ont été prises pour attirer plus de jeunes dans ces métiers?

Gilles Gaubert. Le Symop s'est engagé avec force dans cette promotion.un espace d'information (“Tech2prod”) a été créé sur le site internet du syndicat pour faire découvrir aux jeunes, aux parents et aux enseignants, ces métiers souvent méconnus,ces postes intéressants et bien rémunérés. une nouvelle bro-chure de présentation des métiers a été créée, ainsi qu'une page Facebook et une chaîne Youtube. Ces actions se prolongent sur le terrain, notamment lors des expositions (Mondial des métiers à Lyon en février, Aventure des métiers - salon de l'éducation à Paris en novembre, Train de l'orientation en décembre…),où des industriels assurent eux-mêmes la permanence sur les stands. Les établissements partenaires s'emparent aussi de ces matériels de promotion pour inciter les jeunes à rejoindre leurs formations. Ces rencontres sont riches et nous encouragent sur cette voie. Enfin, le Symop travaille aussi aux côtés de ses partenaires (Fim, uIMM) pour démultiplier ces ac-tions. Le site monindustrie.com de l'Onisep, fruit d'un partenariat avec la Fédération, a ainsi été récemment lancé. Il devrait contribuer à rendre nos métiers plus visibles auprès des jeunes.

Au cœur du combat mené par le Symop, l'accroissement de la compétitivité des entreprises françaises. Pour le syndicat, celle-ci repose nécessairement sur une modernisation des équipements de production.

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Mesures. Comment voyez-vous le paysage industriel français dans les années qui viennent?

Gilles Gaubert. La France a de nombreux atouts pour aujourd'hui et demain. Et la jeunesse sera enthousiaste si nous parvenons à la convaincre que l'industrie n'est pas finie, mais qu'une nouvelle histoire commence. Il faut prendre conscience que le succès de cette histoire sera basé sur notre intelligence à concevoir les produits et les usines de demain, et à les commercialiser à travers le monde. Savoir également que l'écologie est un terme porteur majeur, que de nombreux défis technologiques sont devant nous, et que la France est en mesure de peser sur tous ces sujets.Alors je crois que le paysage industriel français sera transformé. nous retrouverons un plaisir industriel qui nous a quelque peu fait défaut depuis quelques années. Retrouvons le goût d'entreprendre, ne nous donnons pas de limites et soyons très ambitieux. Cela s'inscrit dans notre histoire.

(1)Voir notre numéro 850 de décembre 2012.

(2) Cadre réglementaire de gestion des substances chimiques.

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