Mesures. Les décrets n° 2014-284 et n°2014-285 du 3 mars 2014, modifiant respectivement le titre I er du livre V du code de l'environnement et la nomenclature des installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE), sont parus dans le Journal officiel en date du 5 mars 2014. Ils entérinent ainsi la transposition en droit français des directives Seveso III et CLP. Avant d'aller plus loin, pouvez-vous nous rappeler la réglementation existante relative aux établissements Seveso et classés?
Frédéric Merlier. La directive relative àla prévention des accidents majeurs impliquant des substances dangereuses, plus connue sous le nom de directive Seveso,tire son nom de la ville italienne où s'est produit l'accident industriel du 10 juillet 1976. La surchauffe d'un réacteur produisant du 2,4,5-trichlo-rophénol a en effet libéré un nuage toxique qui s'est répandu sur la plaine lombarde. L'émotion suscitée à l'époque par l'accident a incité les Etats européens à se doter d'une politique commune en matière de prévention des risques industriels majeurs, d'où l'officialisation le 1 er juin 1982 de la première directive Seveso. Une deuxième directive (Seveso II), modifiant la première le 9 décembre 1996 (96/82/CE) et amendée en 2003 (2003/105/CE), a entre autres introduit la règle de cumul, principe visant à compenser les effets de seuil de la première version de la directive pour savoir si un établissement relève de cette directive ou non. La directive Seveso II concerne 11000 établissements en Europe dont 1183 en France ce qui en fait le troisième pays européen en termes d'installations Seveso. Ces établissements sont classés «seuil haut» (643 sites français) ou «seuil bas» (540 sites) selon la quantité de substances dangereuses présentes sur le site.Tous doivent respecter un certain nombre d'obligations, comme la réalisation d'études de sécurité, d'une politique de prévention des accidents majeurs (PPAM), des effets dominos, le recensement triennal des substances dangereuses et, pour les seuls établissements seuil haut, la réalisation d'un système de gestion de la sécurité (SGS), de plans d'opération interne (POI) et de plans particuliers d'intervention (PPI), la maîtrise de l'urbanisation. En France, cette directive a été transposée par l'arrêté du 10 mai 2000 modifié, et le système de classement défini sur la base des seuils indiqués dans la nomenclature des installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE) détermine le cadre légal, technique et financier applicable pour la création et l'exploitation d'un établissement. Il existe quatretypes de classement possibles: «Non classé», «Déclaration» (D) ou «Déclaration avec contrôle périodique » (DC), «Enregistrement» (E), et «Autorisation» (A) ou «Autorisation avec servitudes» (AS). On retrouve les établissements Seveso principalement dans les régimes A et AS.
Frédéric Merlier, responsable de l'unité Démarche intégrée d'analyse et de gestion des risques à la Direction des risques accidentels de l'Ineris Ingénieur civil des Mines, Frédéric Merlier a démarré sa carrière en 1998 au Bureau Veritas, en tant qu'ingénieur sécurité dans le domaine de la certification pétrolière |
Mesures. Quelles ont été les raisons de la révision qui a abouti à la directive Seveso III?
Frédéric Merlier. La refonte de la directive, qui a abouti à la troisième directive (2012/18/UE du 4 juillet 2012), ou directive Seveso III qui vient d'être transposée en droit français le 5 mars 2014, provient principalement du règlement européen 1272/2008 sur la classification, l'étiquetage et l'emballage des substances et des mélanges, dit règlement CLP pour
Mesures.Quelles conséquences entraînent le nouveau système de classification CLP?
Frédéric Merlier. Comme les directives DSD et DPD elles-mêmes disparaissent, les définitions des propriétés dangereuses évoluent elles aussi. On passe ainsi de cinq classes de dangers physiques dans le système actuel (DSD/DPD) à seize classes dans le système CLP. Cette augmentation traduit en fait une meilleure précision en termes de danger. Pour les dangers physiques, on trouve ainsi les propriétés suivantes : gaz inflammables, explosibles, aérosols inflammables, gaz comburants, gaz sous pression, liquides inflammables, matières solides inflammables, substances et mélanges auto-réactifs, liquides pyrophoriques, matières solides pyrophoriques, substances et mélanges autoéchauffants, substances et mélanges qui, au contact de l'eau, dégagent des gaz inflammables, liquides comburants, matières solides comburantes, peroxydes organiques et substances ou mélanges corrosifs pour les métaux.A cela s'ajoutent dix classes de dangers pour la santé, au lieu de neuf auparavant (toxicité aiguë, corrosion cutanée/irritation cutanée, lésions oculaires graves/irritation oculaire, sensibilisation respiratoire/sensibilisation cutanée, mutagénicité sur les cellules germinales, cancérogénicité, toxicité pour la reproduction, toxicité spécifique pour certains organes cibles exposition unique ou exposition répétée, danger par aspiration) et deux classes de dangers pour l'environnement (danger pour le milieu aquatique, dangereux pour la couche d'ozone).A ces modifications de fond s'ajoutent des modifications de forme. Ainsi, le terme «préparation» est désormais remplacé par «mélange», les dangers sont répartis en classes et, à l'intérieur des classes, en catégories de danger, et les phrases de risques en R sont remplacées par des mentions de danger en H.
Mesures.Vous parliez de l'harmonisation de la classification des substances dangereuses, mais existe-il d'autres différences entre les deux directives?
Frédéric Merlier. Les nouveaux principes de classement et, dans une moindre mesure, l'introduction de dispositions pour l'information du public, constituent les principales évolutions apportées par la nouvelle directive. Quelques autres modifications, plus mineures, peuvent être mentionnées. Concernant les plans d'urgence, l'opportunité est désormais donnée au public concerné de donner son avis en amont de l'élaboration ou de la modification d'un PPI. Le personnel sous-traitant travaillant dans un établissement est désormais associé à la consultation du projet de POI. Concernant l'étude de dangers, celle-ci doit démontrer la mise en œuvre de la PPAM, et la nouvelle directive a rendu plus explicites certaines obligations déjà applicables antérieurement, portant sur les effets dominos, les risques naturels, et le retour d'expérience en matières d'accident. Comme déjà indiqué, les modifications principales portent sur la nouvelle manière d'évaluer les propriétés dangereuses des substances et mélanges dangereux, et, pour les exploitants français, leur transposition dans les rubriques 4000 de la future nomenclature installations classées.
“ L'Ineris vient de publier un guide technique pour aider les exploitants dans leurs démarches. ” Frédéric Merlier
Mesures.Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur ces nouvelles rubriques 4000?
Frédéric Merlier. On retrouve des rubriques génériques correspondant à de nouvelles classes,catégories et mentions de danger CLP (propriétés physiques), comme les rubriques 4320 et 4321 pour les aérosols inflammables ou les rubriques 4410 et 4411 pour les autoréactifs, ainsi que des rubriques de substances nommément désignées issues de la directive Seveso III. Parexemple,l'am-moniac (rubrique 4735), le sulfure d'hydrogène (rubrique 4737) ainsi que d'autres substances spécifiques. Pour vous donner une idée, prenons le cas de la toxicité aiguë
La directive Seveso III améliore l'information du public
Parmi les différences entre les directives Seveso II et Seveso III, une partie concerne l'accès à l'information et la participation du public. On signale ainsi la création d'un site Internet reprenant un ensemble d'informations pour chaque site Seveso. Ce site créé et géré par l'Etat sera actualisé régulièrement sur la base des informations transmises par les exploitants. On y trouvera un inventaire simplifié des substances dangereuses, la date de la dernière inspection, les risques présentés par l'installation (principaux scénarii d'accident), les mesures de maîtrise des risques mises en place, le comportement à adopter en cas d'accident et les informations sur le plan particulier d'intervention (PPI). Pour les établissements «seuil haut», les exploitants auront toujours l'obligation d'information sous format papier pour les personnes, les bâtiments et les zones recevant du public étant susceptibles d'être touchés par un accident, sans qu'ils aient à le demander. En ce qui concerne les clauses de confidentialité, l'article L. 124-5 du code de l'environnement définit l'atteinte à la conduite de la politique extérieure de la France, à la sécurité publique ou à la défense (disposition générale). On trouve également un nouvel article sur la disposition spécifique aux informations relatives aux établissements Seveso. L'article L. 515-35 du code de l'environnement stipule que la consultation ou la communication de cette information porte atteinte à la confidentialité des informations industrielles et commerciales ou à des droits de propriété intellectuelle. |
Mesures. Maintenant que nous avons vu les différences entre les deux directives, intéressons-nous aux modalités de détermination du statut Seveso et de classement dans les rubriques ICPE… Commençons d'abord par le statut Seveso. Quelle est la procédure qu'un exploitant doit suivre?
Frédéric Merlier. Le principe général pour la détermination du statut Seveso est le suivant: un établissement est dit «seuil haut» si, et seulement si, il répond à la règle de dépassement direct «seuil haut» ou s'il répond à la règle de cumul «seuil haut». Un établissement est dit «seuil bas» si, et seulement si, il n'est pas «seuil haut» et s'il répond à la règle de dépassement direct «seuil bas» ou s'il répond à la règle de cumul «seuil bas». La règle de dépassement direct définit qu'un établissement répond à la règle «seuil haut/seuil bas» lorsque, pour au moins une des rubriques mentionnant un «seuil haut/seuil bas» (4100-4799,2760-3 et 2792), les quantités susceptibles d'être détenues dépassent le «seuil haut/seuil bas» de la rubrique. Pour une rubrique générique donnée (4100-4699), on compte l'ensemble des substances ou mélanges dangereux présentant la classe, la catégorie ou la mention de danger de la rubrique, à l'exception des produits nommément désignés qui sont visés par les rubriques 4700-4799, 2760-3 et 2792. On ne compte alors bien sûr que la substance correspondante pour une rubrique nommément désignée. Dernière précision, certaines rubriques nommément désignées mentionnent un seuil haut, mais pas de seuil bas; il n'y a donc pas de dépassement direct «seuil bas» pour ces rubriques.
Mesures. Et qu'en est-il pour la règle de cumul ? L'application de la directive Seveso III a-t-elle là aussi un impact?
Frédéric Merlier. La règle de cumul reste inchangée sur le fond. Rappelons que cette règle définit qu'un établissement est «seuil haut/seuil bas » lorsque la somme des rapports entre la quantité de la substance ou du mélange x susceptible d'être présente dans l'établissement (qx) et la quantité «seuil haut/seuil bas» (issue de la nomenclature) applicable à la substance ou mélange x (Qx) est égale ou supérieure à 1, pour au moins l'une des trois agrégations suivantes. Pour la toxicité sur l'homme (très toxiques, toxiques), la somme est effectuée sur l'ensemble des substances et mélanges dangereux présentant les classes, les catégories ou les mentions de danger visées par les rubriques 41xx. Pour les dangers physiques (inflammables, comburants, explosibles…), la somme est effectuée sur l'ensemble des substances et mélanges dangereux présentant les classes, les catégories ou les mentions de danger visées par les rubriques 42xx., 43xx et 44xx. Enfin, pour la toxicité sur l'environnement (très toxiques, toxiques), la somme est effectuée sur l'ensemble des substances et mélanges dangereux présentant les classes, les catégories ou les mentions de danger visées par les rubriques 45xx. Dans les trois agrégations, les substances ou mélanges dangereux nommément désignés aux rubriques 47xx et 48xx et les déchets visés par les rubriques 27xx sont comprises à chaque fois. Il faut par ailleurs préciser quelques points particuliers pour la règle de cumul. Les substances et mélanges dangereux classés dans les rubriques 46xx ne participent à aucun cumul et, lorsqu'une rubrique mentionne un «seuil haut» mais pas de «seuil bas» (rubriques 4708 pour le trioxyde d'arsenic, l'acide [III] arsénique et/ ou ses sels, 4711 pour les composés du nickel, 4724 pour l'isocyanate de méthyle, 4730 pour le dichlorure de soufre, par exemple), la substance n'est pas prise en considération pour l'application de la règle de cumul «seuil bas».
Mesures. Il est fait mention dans la note 3 de l'annexe I de la directive (article R.51111 du code de l'environnement) de la règle des 2%.Pouvez-vous nous expliquer en quoi consiste cette règle?
Frédéric Merlier. Cela fait partie des modifications apparues suite à la transposition en droit français de la directive Seveso III. La règle des 2% est définie de la manière suivante:
Mesures. Après avoir vu le classement du statut Seveso selon la nouvelle directive, que pouvez-vous nous dire sur les modalités de classement dans les rubriques d'installation classée?
Frédéric Merlier. Lorsqu'une substance ou un mélange dangereux présente une ou plusieurs propriétés dangereuses visées par la nomenclature, elle contribue au classement ICPE des installations. Elle sera classée dans une seule rubrique de classement, selon un principe de priorité qui a été modifié. Le classement se fait en priorité dans une rubrique 27xx, 47x ou 48xx, si elles sont applicables et par ordre de priorité. Dans le cas contraire, le classement se fera alors dans une rubrique générique (4100 à 4699). Si plusieurs possibilités sont possibles, le choix se portera sur la rubrique présentant le seuil minimal, par ordre de priorité décroissante : le « seuil haut » le plus sévère, en cas d'égalité le «seuil bas » le plus sévère puis le seuil Ale plus sévère, etc.
Mesures.Vous venez de présenter un certain nombre d'évolutions ayant des conséquences pour les exploitants français.Ont-ils à leur disposition des outils permettant de les aider dans l'application de la directive Seveso III?
Frédéric Merlier. Le principal travail à effectuer par tous les établissements susceptibles de détenir des substances ou mélanges dangereux, y compris non Seveso ou non soumis à autorisation à ce jour, en amont du 1 er juin 2015, est de déterminer leur futur statut Seveso et leur futur classement ICPE et, si besoin, de réduire leurs risques, voired'adapter leurs procédés. Le ministère de l'Ecologie, du Développement durable et de l'Energie a réalisé plusieurs actions de sensibilisation depuis mai 2012, notamment la tenue, jusqu'au début de cette année, de journées de formation itinérantes en régions. La Direction générale de la prévention des risques (DGPR) a également développé un outil de simulation accessible à tout public (www.seveso3.fr), qui permet de déterminer le statut Seveso d'une installation donnée, sur la base de la saisie des substances et mélanges dangereux présents dans l'installation. En parallèle, l'Ineris [Institut national de l'environnement industriel et des risques, NDLR] vient de publier un guide technique, intitulé
Mesures. Il peut donc arriver qu'un établissement voie son régime ICPE changer, voire qu'il passe sous un régime d'installation classée.Que devra faire l'exploitant dans cette situation?
Frédéric Merlier. Le droit d'antériorité pourra s'appliquer. En effet, l'article L.513-1 du code de l'environnement (modifié) précise qu'en cas de changement de classement ICPE, du fait d'un changement de nomenclature ou de classification des substances et mélanges dangereux, l'établissement aura le droit de continuer à exploiter sans faire de demande d'autorisation, sous réserve de se faire connaître auprès du préfet sous un an. Cela sera applicable au changement de nomenclature qui entrera en vigueur le 1 er juin 2015 et aux changements ultérieurs de classification des substances ou mélanges dangereux. L'administration aura ensuite la possibilité de demander à l'exploitant tous renseignements complémentaires et, en particulier, la production d'une étude d'impact et d'une étude de dangers. Il lui sera également possible de renforcer les prescriptions techniques au moyen d'arrêtés complémentaires. Si un établissement n'était actuellement ni de statut Seveso si soumis à autorisation, et qu'il devenait Seveso au 1 er juin 2015, il devra a minima élaborer une PPAM d'ici le 1 er juin 2016 et une étude de dangers d'ici le 1 er juin 2017. Si, de plus, il est Seveso « seuil haut », il devra également élaborer un SGS et un POI d'ici le 1 er juin 2017. La PPAM devra être mise à jour tous les 5 ans, ainsi que l'étude de dangers pour les établissements de statut Seveso « seuil haut », et le POI tous les 3 ans pour les établissements de statut Seveso « seuil haut ».
Il pourra être soumis au régime de l'autorisation, selon application ou non du principe d'antériorité.