Les protocoles basés sur Ethernet procurent de nombreux avantages, comme une topologie de réseau plus libre et une facilité de diagnostic en cas de problème.
Beckhoff Automation
P our expliquer le fonctionnement des réseaux de communication, Grégory Thami, responsable du réseau de distribution de HMS, fait l'analogie avec les routes: « Tout comme il existe des départementales, moins rapides, et des autoroutes, les bus de terrain utilisant des liaisons série ne permettent pas d'échanges de données aussi rapides que sur un réseau Ethernet. » Avec la croissance des réseaux et des besoins en termes de communications, l'industrie se convertit petit à petit à l'Ethernet. Mais les équipements industriels ayant des durées de vie allant jusqu'à plusieurs dizaines d'années, cette évolution est progressive. Les équipements récents sont nativement compatibles avec les réseaux Ethernet. Mais ils doivent cohabiter avec l'existant, qui utilise toujours des liaisons série, voire d'autres types de réseaux.
En plus de la question du support physique, les réseaux industriels mettent en jeu de nombreux protocoles.Même s'ils communiquent sur le même réseau et sont tous constitués de données numériques, ils ne sont pas interopérables. « Les véhicules qui empruntent une même route ne sont pas identiques, illustre Grégory Thami . On peut voir le protocole comme une voiture. C'est une capsule qui contient l'information. » On trouve donc des protocoles différents sur chaque type de réseaux. Faut-il impérativement uniformiser tout cela pour optimiser le réseau industriel? Pas forcément. « On essaie parfois d'opposer les réseaux,alors qu'ils sont plutôt complémentaires », résume Frédéric Splittgerber, chef de produit Digital Factory chez Siemens.
À chaque protocole sa spécialité
Les réseaux de terrain sont encore loin d'être abandonnés par les fabricants d'équipements industriels, bien qu'Ethernet soit désormais la priorité. « Nous avons lancé EtherCAT, basé sur Ethernet, en 2003, rappelle Pierre Hervy, responsable technique chez Beckhoff Automation. Et depuis deux ou trois ans,nous vendons plus de systèmes EtherCAT que de modèles supportant tous les autres protocoles cumulés.Pour autant,notre approche modulaire des entrées/sorties (E/S) permet de changer uniquement le coupleur pour s'adapter à divers protocoles. Nous prenons ainsi en charge une vingtaine de bus de terrain différents ».
De nombreux équipements installés dans les usines communiquent encore sur des réseaux série. À terme, Ethernet devrait s'imposer, mais, en attendant, les deux peuvent cohabiter.
Schneider Electric
Les protocoles employés sur le réseau série ont des performances comparables entre eux, bien qu'ils présentent chacun leurs spécificités. Certains ont des avantages du point de vue du débit ou du diagnostic. D'autres sont spécialisés pour certaines applications, comme Sercos pour la robotique, BACnet ou LonWorks pour la gestion technique des bâtiments. « D'autres encore sont très spécifiques, ajoute Pierre Pagliari, responsable régional des ventes chez ProSoft Technology , comme l'IEC 104 [IEC 60870-5-104 Protocoles de transmission – Accès réseau pour l'IEC 60870-5-101 utilisant les profils de transport standard],très utilisé dans le domaine de l'énergie car il permet un horodatage à la source,pour l'historisation directe des données. » Mais, en dehors des besoins spécifiques, « généralement,le choix découlait du maître utilisé, indique Pierre Hervy (BeckhoffAutomation). Avec un automate Siemens,par exemple,on utilisait du Profibus ». Il poursuit en ajoutant qu'« aujourd'hui, dans les usines, il reste beaucoup de Profibus, CAN,ou encore de DeviceNet. » Modbus est encore très présent lui aussi. Tous ont tendance à décliner en faveur des protocoles sur Ethernet, mais pas partout: « L'industrie gazière et pétrolière, par exemple, aime garder l'instrumentation, comme les débitmètres, sur des protocoles série », note Pierre Pagliari (ProSoft Technology). « Pour les clients ayant du matériel spécifique, avec des liaisons série simples, la question de l'intérêt d'Ethernet se pose, ajoute Franck Noyaret, chef produit Réseaux industriels et Identification chez Siemens. En effet, pour des questions de maintenance,avoir un PC dans un atelier n'est pas toujours simple ».
Les mutations d'Ethernet
Les évolutions des protocoles Ethernet permettent d'élargir leur champ d'applications. Ainsi, Siemens s'apprête à mettre sur le marché, dans les prochains mois, des produits intégrant la norme TSN ( Time Sensitive Networking ). « Elle garantit un temps de transaction entre les différents appareils », explique Franck Noyaret, chef produit Réseaux industriels et Identification chez Siemens. Auparavant, pour éviter les temps de latence lors des communications sur Ethernet, il fallait mettre en place des réseaux locaux virtuels (VLAN) pour répartir la bande passante en fonction des besoins des différentes applications. « L'idée selon laquelle Ethernet fonctionnait pour toutes les applications évolue, ajoute Franck Noyaret. On se rend compte qu'il y a des besoins spécifiques en termes de production,et que la disponibilité et les performances ne sont pas toujours optimales.Certains appareils ont besoin de plus de bande passante que d'autres.L'ANSI [ American National Standards Institute, NDLR ] travaille d'ailleurs à remettre en perspective les besoins de chacun ».
« Les protocoles Ethernet sont victimes de leurs avantages, résume Grégory Thami, responsable du réseau de distribution chez HMS. Ils sont rapides,efficaces et sûrs. On leur en demande donc de plus en plus. Et pour s'adapter,il faut sortir de nouvelles façons de gérer des fonctions qui n'avaient pas été pensées à l'avance .» Ainsi, Profinet a sa version Profinet IO, pour gérer les entrées/sorties, ou encore PROFIsafe, pour les applications de sécurité. Il s'agit ici de créer une voie prioritaire pour des informations comme les arrêts d'urgence. Le protocole EtherNet/IP a, lui aussi, ses déclinaisons spécifiques. Ethernet peut également se diversifier pour des raisons de métier: le secteur de l'automobile, pour répondre à ses besoins spécifiques, a ainsi mis au point l'Automotive Ethernet.
Même sur des réseaux Ethernet, il est possible d'encapsuler des protocoles initialement basés sur des liaisons série, afin de rapatrier des données vers des systèmes de contrôle. Les automates les plus récents peuvent ainsi continuer à dialoguer via des liaisons série grâce à des cartes dédiées. « Nous prenons toujours en charge les protocoles utilisés il y a 20 ans, rassure Franck Noyaret (Siemens) . Mais ces réseaux se basent sur des normes figées, il n'y a plus d'évolutions majeures depuis quelques années.Pour obtenir régulièrement de nouvelles fonctions, de diagnostic par exemple, il faut se tourner vers les standards sur Ethernet, comme Profinet ».
Les protocoles série ont d'autres limites, comme la quantité de données qu'ils sont capables de prendre en charge. « Transmettre de la vidéo,par exemple,ne serait pas possible sur les réseaux de terrain, précise Pierre Pagliari (ProSoftTechnology). Les réseaux sur Ethernet permettent de gérer bien plus de choses, notamment pour la sécurité. » Cependant, « les bus de terrain peuvent suffire, y compris pour des machines récentes, estime Pierre Hervy (Beckhoff Automation). Les protocoles Profibus ou CAN permettent des échanges de données toutes les millisecondes. » Si le système fonctionne ainsi, la transition vers Ethernet n'est pas une urgence.
ais aujourd'hui, « on demande de plus en lus d'informations aux systèmes,notamment our le diagnostic à distance » , observe ierre Pagliari (ProSoftTechnology). Et n cas de panne, « Ethernet permet de scan-er directement tous les équipements branchés ur le réseau », argumente-t-il. Pour faire ela en liaison série, il faudrait connec-er une passerelle sur chaque équipe-ent. De plus, les protocoles Ethernet ermettent d'encapsuler des informa-ions de diagnostic. Tandis qu'en odbus, par exemple, il faut aller inter-oger l'équipement pour obtenir des onnées liées à son fonctionnement. Avec Ethernet, on sait où se trouvent les ppareils sur le réseau », ajoute Franck oyaret (Siemens). Ethernet permet galement d'obtenir des réseaux avec es topologies spécifiques: « Il est pos-ible d'avoir des réseaux en étoile, en ligne ou n anneau », précise Pierre Hervy Beckhoff Automation). Cela confère ne redondance beaucoup plus poussée qu'avec un réseau en série.
Les liaisons série, et maintenant Ethernet, constituent les «routes» principales du réseau. Mais d'autres réseaux de terrain existent également à un niveau inférieur, au plus proche des actionneurs et capteurs. « Cette couche permet de remonter les informations. Historiquement, elle emploie le protocole AS-Interface (AS-i) », explique Frédéric Splittgerber (Siemens). Ici, il ne s'agit plus d'échanger des données numériques, mais des informations analogiques, Tout-Ou-Rien (TOR) ou des trames de sécurité. Ce niveau de réseau est constitué d'un seul câble,regroupant les données et l'énergie. Cela présente l'avantage de minimiser les erreurs de câblage. « C'est une architecture extrêmement simple à mettre en œuvre, non-propriétaire, et encore utilisée dans le monde entier par une centaine de fournisseurs », commente-t-il.
Connecter les capteurs et les actionneurs
Organiser la migration
Les réseaux industriels vont vers l'Ethernet. Comment accompagner cette tendance lorsqu'une partie du réseau emploie toujours des communications sur bus de terrain série? Le parc installé est très important, et les industriels n'ont généralement pas le budget nécessaire pour mettre à jour tout le matériel en même temps. « Certains attendent donc qu'un appareil casse pour le remplacer, note Pierre Pagliari, responsable régional des ventes chez ProSoft Technology. Mais c'est une méthode souvent dangereuse,car elle risque d'entraîner des arrêts de production. »
Cette approche nécessite donc une gestion rigoureuse des stocks, afin de pouvoir remplacer immédiatement un produit obsolète tombant en panne par une version plus actuelle.
Plus sûre, la migration phasée permet de faire cohabiter des protocoles anciens avec des systèmes sur Ethernet. On emploiera pour cela des passerelles temporaires. « C'est une méthode qui permet de limiter et d'étaler les coûts », note Pierre Pagliari. Elle permet de remplacer pas à pas les différents éléments. « Le retour sur investissement est très rapide,car on améliore les performances du réseau », ajoute-t-il. Pour se lancer dans cette migration, il faut d'abord cartographier complètement le réseau, en sachant, pour chaque équipement, où en est le cycle de vie. Cela permet d'évaluer les risques en cas de panne. « Généralement,les industriels savent ce qui est limitant dans leur process, par exemple un moteur qui ne permet pas d'augmenter la cadence », observe Pierre Pagliari. Mais la vue d'ensemble de l'obsolescence n'est pas toujours bien connue.
« Les solutions de modernisation ont progressé, ajoute Daniel Hengy, responsable de l'offre EcoStruxure Plant de Schneider Electric. Des approches nativement évolutives permettent de reprendre des borniers sans modifier le câblage en aval.Il faut adapter les programmes,mais il y a peu de choses à modifier du point de vue matériel. »
Il existe également des proxys, des cartes, déportées ou intégrées aux automates, permettant au processeur de communiquer sur différents réseaux. Ou encore des coupleurs de communications à double profil, compatibles avec deux protocoles différents. Tous ces systèmes facilitent la migration d'une installation.
AS-i est capable de couvrir des distances jusqu'à 1200 mètres et présente un système d'adressage simple, intéressant pour les électriciens sur le terrain. « C'est un système compétitif en termes de prix, continue Frédéric Splittgerber. Il permet de mettre en œuvre quelques fonctions basiques de diagnostic,et sa maintenance est facile.Tout cela doit être pesé lors du choix d'un standard. » Sur le même périmètre d'applications, il existe également le standard IO-Link ( voir Mesures n°864 ). « Il est encore moins cher, mais ne permet pas d'aller au-delà de 20 à 30 m, précise Frédéric Splittgerber. Les capteurs et les actionneurs sont de plus en plus compatibles nativement avec IO-Link, qui permet de remonter des informations numériques de diagnostic, pour savoir par exemple quel élément est en défaut. C'est utile dans le cadre de la maintenance prédictive. » Les fabricants proposent ainsi régulièrement de nouveaux blocs de fonctions pour ce protocole.
Comme chaque technologie, AS-i présente également des inconvénients. Les temps de traitement peuvent en être un: il faut en effet compter de 2 à 10 millisecondes, voire jusqu'à 40ms avec des informations de sécurité. Si l'application nécessite des temps de traitement, AS-i sera trop limité. Si une forte densité d'entrées/sorties est requise, Ethernet redevient une option intéressante financièrement dans ce périmètre d'applica-tions. Une autre difficulté est l'absence de reconnaissance de la topologie du réseau.On saura qu'un problème existe, mais sans pouvoir le localiser. Quant à IO-Link, il n'est pas conçu pour transmettre des informations de sécurité.
Les passerelles de communication permettent de traduire des informations pour les faire transiter d'un réseau à l'autre. Elles sont un outil important pour organiser la migration d'une installation.
Pour bien gérer son réseau, il faut faire le point sur le cycle de vie de chaque équipement, afin de déterminer les remplacements prioritaires.
ProSoft Technology
Au-dessus de ces réseaux de terrain comme AS-i ou IO-Link, une passerelle peut servir à remonter les informations sur le réseau principal. Pour Frédéric Splittgerber, « ces réseaux sont un bon complément pour récupérer des informations non liées au process, comme commander un départ moteur, ou obtenir des valeurs en courant ou en tension. » Mais pour de longues distances, et s'il faut un temps de traitement rapide, alors il faudra se tourner vers les réseaux sur Ethernet. « On pourrait tout faire sur Ethernet, mais ça ne serait pas forcément avantageux du point de vue du coût »,précise Franck Noyaret (Siemens). Ainsi, pour certains automates, comme ceux du fabricant allemand, l'utilisation de ces réseaux de terrain plutôt qu'Ethernet est transparente pour ne pas pénaliser le choix de l'utilisateur.
Une architecture plus horizontale
Ethernet progresse donc même au-delà de la colonne vertébrale du réseau. L'automate M580 de Schneider Electric, sorti en 2014, en témoigne également: « Il présente une continuité totale sur Ethernet, jusqu'au fond de panier, présente Daniel Hengy, responsable de l'offre EcoStruxure Plant de Schneider Electric. Cela simplifie l'utilisation,notamment l'accès au serveur web de l'automate depuis un PC sans développement de programme supplémen-taire. » Auparavant, l'architecture traditionnelle mettait en jeu un fond de panier propriétaire,nécessitant l'écriture de programmes dédiés pour établir le dialogue de haut en bas. « Maintenant, on traverse l'automate en ne rencontrant plus que des commutateurs, compare Daniel Hengy. C'est un système complètement transparent. » Ainsi, l'architecture des réseaux industriels devient plus horizontale. « Avant,le logiciel du SCADA devait communiquer avec l'automate,passer par les entrées/sorties,pour accéder à un variateur de vitesse, rappelle Maxence Prouvost, directeur marketing de l'offre MachineSolution de Schneider Electric. Désormais, le SCADA peut aller chercher directement les données utiles dans l'automate ou dans le variateur ».
Faudrait-il unifier l'ensemble du réseau et faire descendre Ethernet jusqu'au niveau des capteurs? Si la démarche est déjà envisageable, elle n'est pas encore nécessaire dans les usines. « On peut imaginer, d'ici 5 ou 10 ans, une intégration totale des technologies d'information et des technologies opérationnelles », estime Pierre Pagliari (ProSoft Technology). « Ethernet est devenu un bus de terrain. À l'avenir, les communications industrielles passeront intégralement par cette technologie, prévoit Daniel Hengy (Schneider Electric). Les capteurs, les variateurs ou les commandes d'axes seront tous concernés, il n'y aura plus de notion de niveaux : les informations pourront remonter directement des capteurs vers les systèmes informatiques tels que les ERP ou les MES ».
« Sur le papier,l'Internet des objets industriels (IIoT) semble simple, il suffit de tirer des traits pour relier les systèmes entre eux, résume Grégory Thami (HMS). Mais en mettant les mains dans le cambouis,on se rend compte qu'il est nécessaire d'harmoniser les communications, de fixer un cap. » La technologie OPC Unified Architecture (UA), héritée du monde informatique, suscite donc l'intérêt et semble sortir du lot pour mener cette harmonisation, des capteurs jusqu'au cloud, et ainsi mieux valoriser les données qu'il est aujourd'hui possible de recueillir. « C'est un besoin en devenir, ajoute Pierre Pagliari (ProSoft Technology). On demande énormément de données,mais on ne sait pas encore quoi en faire.Lorsque l'intelligence artificielle sera un peu mieux développée, les industriels pourront vraiment capitaliser dessus ».