«Pas besoin de gros moyens pour se lancer dans une démarche d'efficacité énergétique»

Le 10/11/2017 à 15:00

Mesures.On parle beaucoup d'efficacité énergétique dans l'industrie.Mais les industriels sont-ils si impliqués que cela dans la mise en place d'une politique d'efficacité énergétique?

Catherine Moutet. On ne peut pas vraiment dire qu'en France, l'industrie soit suffisamment engagée dans l'efficacité énergétique. Début octobre est parue une étude prospective sur le marché de l'efficacité énergétique, étude financée par le Gimelec, l'Ademe et la DGE, qui pointe le fait que l'industrie ne s'est pas encore assez approprié l'efficacité énergétique comme un vecteur de développement. C'est pourquoi le genre de manifestation telle que la table ronde que vous organisez aujourd'hui est très bénéfique pour faire prendre conscience aux entreprises, en particulier dans le secteur industriel, que c'est important de se mettre en marche en matière d'efficacité énergétique. En revanche, ce que l'on constate, c'est qu'une fois qu'une entreprise s'est lancée dans une telle démarche, notamment dans le cadre de la certification ISO 50001, elle ne revient en arrière que dans de très rares cas. Les sociétés sont généralement très contentes des résultats obtenus et recommandent ce type d'initiatives, arguant en particulier que les investissements consentis sont tout à fait mineurs par rapport aux bienfaits récoltés. Les industriels les plus en pointe dans ce domaine sont bien évidemment ceux des secteurs les plus énergivores, car c'est une bonne opportunité de réaliser des économies substantielles et ainsi d'améliorer ses marges. Mais d'autres secteurs industriels commencent à s'y pencher, tels que l'agroalimentaire et également, depuis 6 ou 8 mois, des acteurs qui ont à gérer de gros patrimoines industriels.





Les industriels ayant obtenu la certification ISO 50001 sont généralement très contents des résultats obtenus,notamment parce que les investissements consentis sont tout à fait mineurs par rapport aux bénéfices récoltés. ” Catherine Moutet, Afnor

Alain Josse. Je rejoins ce qui vient d'être dit sur le peu d'enthousiasme affiché par les industriels pour mettre en place des solutions leur permettant de mieux maîtriser leur process de consommation énergétique. Peut-être n'avons-nous pas fait suffisamment bien notre travail sur ce sujet. En tant qu'offreurs de solutions pour l'efficacité énergétique, nous avons parfois l'occasion de nous retrouver devant un industriel qui veut se lancer dans un plan d'efficacité énergétique, mais qui se trouve très démuni dès qu'il s'interroge sur la méthode à mettre en place, sans compter que, bien souvent, il n'est pas forcément au courant de toutes les aides dont il peut bénéficier auprès d'organismes comme l'Ademe, Afnor, les chambres de commerce et d'industrie, etc. C'est pourquoi une part de notre travail consiste aussi à les guider dans cette démarche. Il y a sans doute aussi un meilleur travail « d'évangélisation » à effectuer auprès des industriels en leur montrant qu'à chaque fois que des entreprises ont déployé une démarche d'efficacité énergétique, cela s'est systématiquement traduit par une meilleure performance de l'entreprise. Et l'on voit également dans de nombreux cas d'applications, des entreprises qui ont débuté la mise en place d'une telle démarche avec des moyens très réduits dans leur installation et qui, au bout de deux ou trois ans, ont fait grandir leurs ressources en efficacité énergétique pour trouver de nouveaux gisements d'économie à réaliser et ne reviendraient en arrière pour rien au monde.





De gauche à droite : Catherine Moutet, responsable Afnor Energies, Patrick Hell, directeur marketing d'Endress+Hauser France, Alain Josse, responsable cellule application Système Gestion Energie chez Enerdis (groupe Chauvin Arnoux) et Gilles Simon, expert environnement et énergie chez Schneider Electric.

Photographies : Julien Lecomte

Patrick Hell. Je ne peux qu'abonder dans le sens de Monsieur Josse. Néanmoins, je constate qu'il y a un certain frémissement chez les industriels depuis maintenant une bonne année. Et cela débute souvent par des choses relativement traditionnelles, comme l'analyse de la consommation électrique qui représente souvent le premier poste de coût en matière de consommation énergétique. Chez Endress+Hauser, nous sommes plutôt sur la partie flui-dique,c'est-à-diretout ce qui concerne la consommation et la mesure d'air comprimé, de vapeur, de combustible, tous ces paramètres qui commencent à être considérés par les industriels comme sources potentielles d'économie. Et comme le disait Madame Moutet, même des industries moins énergivores commencent à s'intéresser à cette thématique. Si la question ne se pose même pas pour une papeterie, par exemple, pour laquelle les gains de coût sont évidents, certaines PME, en particulier dans l'agroalimentaire, effectivement, commencent un peu à s'intéresser à cela. Mais les petites structures sont souvent démunies car souvent moins informées sur ce sujet que les grands groupes, en particulier sur les aides auxquelles elles peuvent prétendre. Il ya donc un vrai travail d'information à faire, de vulgarisation, d'accompagnement de ces industriels pour que les démarches d'efficacité énergétique se développent davantage.

Gilles Simon. Il s'avère que Schneider Electric a été la première société au monde à avoir obtenu la certification ISO 50001. En 2011 en effet, l'année de sortie de la norme internationale, j'ai eu la chance d'avoir piloté la mise en place du premier système de management de l'énergie (SME) sur notre siège international situé à Rueil-Malmaison. Les motivations premières pour s'engager dans une telle démarche, ce sont bien évidemment les économies d'énergie, et donc financières, réalisables. Mais cela ne s'arrête pas là. C'est aussi dans un certain nombre de cas, que ce soit pour des grands groupes ou des PME, pour exprimer la volonté de véhiculer une image d'entreprise citoyenne. Et puis, il y a des avantages moins évidents de prime abord comme le fait qu'en réduisant sa consommation d'énergie, on est, de fait, moins impacté par les variations de coût de l'énergie. Et globalement, je suis convaincu que la mise en œuvre d'un plan d'efficacité énergétique améliore l'efficacité globale de l'entreprise car cela met en place des modes de fonctionnement, la clarification de responsabilités, etc. Et puis, il existe un certain nombre de bénéfices qui ne sont pas forcément considérés au départ, mais qui peuvent vraiment être ressentis dans un second temps.





Une politique d'efficacité énergétique ne nécessite pas forcément de gros moyens: une PME de 10 ou 20 personnes peut très bien démarrer progressivement une telle démarche sans se ruiner. ” Gilles Simon, Schneider Electric





Une assemblée attentive a écouté les recommandations de nos experts pour démarrer une démarche d'efficacité énergétique dans les meilleures conditions possibles.

Dans le cas particulier de Schneider Electric, nous sommes aussi fournisseur de solutions et de produits dédiés à l'efficacité énergétique. Donc en plus des motivations que je viens d'évoquer, il nous fallait aussi prouver que nous étions parmi les meilleurs en termes de fourniture de solutions pour l'efficacité énergétique.

Mesures. Quelles sont les premières actions à mener pour mettre en place une démarche d'efficacité énergétique ? Audit énergétique ? Certification ISO 50001?

Gilles Simon. Tout d'abord, il faut qu'il y ait une volonté de l'entreprise, donc une volonté de la direction, pour s'engager dans une politique d'efficacité énergétique. C'est le point de départ nécessaire, quelle que soit la taille de l'entreprise. Et ensuite, le reste s'enchaîne assez bien. Personnellement, je suis fan de la norme ISO 50001 car c'est à la fois une boîte à outils et un cadre de fonctionnement. D'ailleurs, je conseillerai à toute entreprise qui veut améliorer son efficacité énergétique de se servir de la trame fournie par l'ISO 50001, sans forcément aller jusqu'à la certification car on n'a pas forcément besoin ou envie d'aller jusqu'à la certification. Mais au moins, servez-vous de cette trame-là car elle donne globalement le fil rouge à suivre pour être efficace dans une telle démarche.

Catherine Moutet. Aujourd'hui, plus de la moitié des entreprises n'ont pas de stratégie ISO 50001, donc je recommande vivement de faire un audit éner-gétique,mais un audit qui soit vraiment de qualité pour faire émerger les potentiels d'économie énergétique, de bien les évaluer et de travailler sur une capacité de financement. Sur ce dernier point, je dois dire qu'il existe en France – et cela doit aussi être vrai dans d'autres pays - un manque de culture de l'investissement non productif: on ne va pas investir comme ça, naturellement, dans l'efficacité énergétique, d'autant que les réseaux de financement ne sont pas très enclins à ça non plus car ils estiment qu'il est délicat de quantifier véritablement les économies d'énergie réalisables. Quoi qu'il en soit, l'audit énergétique, c'est de toute façon le début d'une démarche ISO 50001 car cela constitue la base de cette norme qui utilise le terme de revue énergétique. J'ai dit tout à l'heure que les industriels n'étaient pas assez engagés dans une démarche d'efficacité énergétique, mais je ne suis toutefois pas surprise de constater que Messieurs Hell et Josse témoignent d'un frémissement de la part de leurs clients dans ce domaine car, au-delà de la prise de conscience, cela est également lié à la récente obligation d'audit énergétique pour les entreprises de plus de 250 salariés. Mais beaucoup d'entreprises ont procédé à des audits low cost, donc peu efficients, qui, au final, leur ont fait perdre de l'argent. J'insiste donc sur l'importance de réaliser un audit de qualité. En France, dans la réglementation de l'audit énergétique obligatoire pour les entreprises de plus de 250 salariés, il est exigé que l'audit soit réalisé selon la norme européenne NF EN 16247 qui stipule notamment que l'audit doit être réalisé en 7 étapes avec nécessairement une visite sur site. Et l'expérience montre que quand l'audit réalisé est de de qualité, l'industriel se met progressivement en ordre de marche pour rentrer dans une certification ISO 50001. Car une fois l'audit réalisé, tout s'enchaîne: on a les usages énergétiques clairement identifiés, on a des situations énergétiques de référence, on peut mettre en place des plans d'actions construits et des objectifs, mettre en œuvre un plan de mesurage, la direction peut s'engager, définir la politique énergétique de l'entreprise, etc.

Mesures. Quelle est la philosophie de l'ISO 50001? Quels sont ses objectifs?

Catherine Moutet. La philosophie de l'ISO 50001, c'est de se placer dans une dynamique d'amélioration continue de la performance énergétique avec tout un cadre méthodologique qui, progressivement, vous amène à définir vos plans d'actions et surtout à mettre en œuvre une démarche qui associe tous les acteurs de l'entreprise concernés autour de la table. Ce n'est plus uniquement l'apanage des spécialistes de l'énergie, mais quelque chose qui sort du domaine technique, car cette démarche doit également être prise en compte par les ressources humaines, par les services achats, ce qui est très important, par tous ceux qui interviennent dans la conception, etc. Il s'agit d'un mouvement collégial au niveau de l'entreprise. L'ISO 50001 a été publié en 2011, mais une nouvelle version est en cours de finalisation avec, notamment, le rôle de la direction qui a été renforcé. Une direction qui joue véritablement un rôle de déclencheur et qui doit être très impliquée dans la mise en œuvre de cette norme dans l'entreprise. Des notions de mesure et de vérification de la performance énergétique ont également été introduites dans cette nouvelle mouture de la norme, car il ne s'agira pas uniquement de démontrer l'amélioration continue de l'efficacité énergétique, mais il sera exigé, dès le début de l'application de la future version de la norme, de démontrer que d'une année à l'autre, on a réalisé un « delta » d'amélioration de performance énergétique. Améliorée et fluidifiée au niveau de sa rédaction, la prochaine version de la norme ISO 50001 sera publiée vraisemblablement en juillet ou août 2018.





Souvent,l'industriel est démuni quant àlaméthode àmettreenplace pour débuter un plan d'efficacité énergétique et il n'est pas forcément au courant des aides dont il peut bénéficier. ” Alain Josse, Enerdis

Mesures. Quels sont les avantages de l'ISO 50001 par rapport à un simple audit énergétique?

Alain Josse. L'ISO 50001 donne un fil conducteur vraiment efficace.Et au-delà de l'ISO 50001 proprement dite, il y a tous les annexes et les documents référents –c'est-à-dire les documents qui font référence aux indicateurs de performance énergétique, à la revue énergétique, etc.– qui sont fort utiles car ils fournissent tout un ensemble de termes et de notions qui vont vraiment aider à nourrir et construire sa réflexion. L'audit, lui, a le mérite d'apporter une certaine réflexion sur la consommation de l'entreprise et sur les économies réalisables. Mais il doit être renouvelé tous les quatre ans. Or quand on se lance dans une démarche ISO 50001, on est obligé de réaliser un audit ou une revue énergétique, peu importe le nom qu'on lui donne. Donc autant s'appuyer sur le premier audit réalisé pour démarrer une certification ISO 50001 et mettre en place un plan de comptage. Comme je le dis souvent à nos clients, il faut démystifier la mise en place de l'ISO 50001. Il faut accepter de tituber pour apprendre à marcher. C'est-à-dire qu'au départ, je ne vais peut-être pas forcément mettre en place les bons plans de comptage tout de suite, mais cela me permettra ensuite d'affiner mon dispositif pour qu'il soit plus efficace. C'est la vertu de l'échec. Il faut aussi accepter de réaliser cela de façon progressive. J'ai souvent des clients qui pensent qu'il faut instrumenter 100 ou 200 points de comptage sur leur installation pour faire un suivi énergétique et que cela va du coup leur coûter une fortune. Notre discours est alors de leur dire de commencer petit, avec la mise en place d'un nombre de points de surveillance limité, de maîtriser cette première étape, et ensuite, après une période de 6 à 8 mois d'utilisation, d'augmenter leurs points de comptage progressivement. De la même manière, comme je le dis souvent, on peut commencer une analyse de l'amélioration de sa performance énergétique avec un simple fichier Excel pour consigner les indices de consommation. Car même si cette méthode est un peu sommaire et manque de finesse, cela permet parfois de mettre en exergue certaines choses dont on ne s'était pas forcément aperçu au départ. Pas la peine d'emblée de mettre en place un logiciel de supervision complexe même si, in fine, celui-ci s'avère probablement indispensable une fois que l'installation aura grandi.

Patrick Hell. L'ISO 50001 possède la grande vertu de nous emmener vers de l'amélioration continue. C'est vraiment cela que les gens doivent retenir de cette démarche-là. Et ce que l'on voit régulièrement chez les industriels, c'est que les gens font cela de manière assez pragmatique, en définissant le poste de consommation le plus important, en faisant une analyse détaillée, et plus uniquement documentaire, en allant sur site directement sur l'installation afin de faire le point sur les équipements concernés. Et on avance ainsi, pas à pas. Et ce qui est important avec le référentiel ISO 50001, c'est qu'il structure cette démarche, même si cette dernière se fait très progressivement.





L'ISO 50001 possède la grande vertu de nous emmener vers de l'amélioration continue de la performance énergétique. C'est cela qu'il faut retenir. ” Patrick Hell, Endress+Hauser

Gilles Simon. Je suis d'accord en grande partie avec tout ce qui a été dit, notamment par Monsieur Hell, sur le fait que, quand on s'engage dans une démarche ISO 50001, on s'engage dans une démarche d'amélioration continue. Mais je suis un peu surpris de la comparaison entre audit énergétique d'une part et démarche ISO 50001 d'autre part car, pour moi, il s'agit de deux choses qu'il est difficile de comparer. Dans le premier cas, il s'agit d'une photographie à l'instant « t » de la situation de l'entreprise en termes d'efficacité énergétique, et dans le second, il s'agit d'un chemin que l'on emprunte. Alors, il est vrai qu'il existe des bons et des mauvais diagnostics énergétiques, mais il y a aussi le fait que, quand un diagnostic énergétique est réalisé, il faut l'utiliser, l'exploiter. Le souci est que l'on peut être tout à fait conforme à la réglementation en faisant un diagnostic énergétique tous les 4 ans et en le mettant au fond d'un tiroir. Et je vais même plus loin, pour aller à l'extrême de la démarche d'amélioration continue que propose l'ISO 50001: on n'est même pas obligé de faire un diagnostic énergétique. C'est-à-dire que comme l'a dit Monsieur Hell, on a mis en place des certifications ISO 50001 sur certains sites de manière très simple, avec pour seule instrumentation un compteur EDF à l'entrée du bâtiment et pour seul diagnostic énergétique une analyse de bon sens de la personne en charge de la maintenance ou de l'énergie. Le cœur de l'ISO 50001, c'est effectivement d'être dans une démarche d'amélioration continue et de savoir quelles sont les énergies que j'utilise, quels sont mes gros usages énergétiques. Est-ce l'éclairage, le chauffage, la climatisation, le process de peinture, les fours, les étuves, etc.? Ensuite, on met en place des comptages sur ces usages pour savoir quelle quantité d'énergie est consommée exactement, puis on affine si besoin au fur et à mesure que l'on accumule de l'information provenant de ces points de comptage. Par exemple, si l'on s'aperçoit que l'un des usages énergétiques répertoriés est moins important que prévu ou, au contraire, que l'on a oublié un usage au départ, on pourra ajuster au mieux l'instrumentation pour que le comptage soit plus efficace. Donc, on voit bien que l'on est dans une démarche d'amélioration continue et qu'il n'est pas nécessaire d'y consacrer beaucoup de moyens au départ. Il faut vraiment démystifier la politique d'efficacité énergétique qui ne doit en aucun cas être la chasse gardée des gros industriels. Une PME de 10 ou 20 personnes peut très bien avoir un intérêt à démarrer progressivement une telle démarche sans se ruiner.

Catherine Moutet. Je voudrais simplement préciser qu'il n'est bien évidemment pas question de comparer audit énergétique et démarche ISO 50001 – ce n'est clairement pas la même chose– mais plutôt d'essayer de les relier. Notamment, et je le répète, parce qu'il est important de réaliser un audit de qualité, en sachant qu'il sera possible de l'utiliser dans une démarche ISO 50001.

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