Mesures. L'écologie est devenue une préoccupation importante pour les États (voir l'effervescence autour de la COP21 en décembre 2015 à Paris), les entreprises et de nombreuses personnes. Le recyclage, au travers du tri de certains produits, est devenu un geste habituel pour tout un chacun dans la vie quotidienne. Pouvez-vous rappeler quelle est la situation pour les entreprises?
Après le recyclage des emballages puis des piles, la réglementation européenne s'est étendue à l'ensemble des équipements électriques. Et la France est même allée encore plus loin, en mettant en place l'organisation du recyclage pour le textile, par exemple.
Hervé Grimaud. Depuis une vingtaine d'années, la législation évolue que ce soit aux niveaux européen et national. Dans le contexte de la responsabilité élargie du producteur (REP), les met-teurs sur le marché de produits manufacturés ont non seulement la responsabilité de faire de bons produits, de les garantir cinq ou dix ans, mais aussi celle concernant de la fin de vie desdits produits. Le recyclage a d'abord porté sur les emballages (pots de yaourts, par exemple). Les fabricants tels que Coca-Cola, Danone ou Unilever avaient le choix de s'occuper seuls de la collecte et du traitement de leurs emballages ou alors de jouer collectif en se tournant vers un organisme à but non lucratif. Le rôle de cet éco-organisme n'est pas d'assurer la promotion d'un producteur ou d'un autre, et, en France, il agit dans le cadre d'un arrêté ministériel et doit répondre à un cahier des charges très précis (présence d'un représentant de l'Etat dans le Conseil d'administration, par exemple) pour que l'argent perçu soit destiné uniquement à la collecte et au recyclage. Après les emballages, la réglementation européenne s'est étendue aux piles: les fabricants ont ainsi mis en place un réseau de collecte chez les distributeurs vendant des piles et, chaque fois que vous achetez une pile en France, une petite partie du prix est reversée à l'un des deux éco-organismes en charge d'organiser la collecte et le recyclage des piles. Puis ce fut au tour de l'ensemble des équipements électriques d'entrer dans la directive européenne 2002/96/CE du 27 janvier 2003 relative aux déchets d'équipements électriques et électroniques (DEEE). Et la France est même allée encore plus loin, en mettant en place l'organisation du recyclage pour le textile, par exemple.
Hervé Grimaud, directeur général de Récylum
Âgé de 53 ans, Hervé Grimaud est directeur général de Récylum, organisme créé en 2005. Il est également mandataire de trois autres entreprises. Hervé Grimaud occupe notamment des fonctions d'administrateur au sein d'OCAD3E, société spécialisée dans les activités administratives et autres activités de soutien aux entreprises. |
Mesures. Qu'entendez-vous par «équipements électriques»?
Hervé Grimaud. Il s'agit de tous les appareils électriques basse tension, du moment qu'ils utilisent un courant électrique pour fonctionner, ou qu'ils conduisent un courant électrique. On retrouve ainsi dans le périmètre aussi bien une multiprise, un oscilloscope numérique, un lave-linge, etc. C'est donc très vaste. Le législateur a défini deux grandes familles d'équipements électriques: ceux destinés aux ménages et ceux destinés aux professionnels. Comme c'est une directive européenne, cela signifie que chaque État membre doit transposer la directive en droit national, avec des nuances d'un pays à l'autre. Pour les équipements électriques destinés aux ménages, les producteurs partagent tous les coûts de collecte et de traitement de tous les équipements récupérés chez les particuliers, peu importe la date de mise sur le marché et la marque, au prorata des quantités mises sur le marché chaque année. Il n'aurait pas été envisageable de dire à un particulier qu'il n'était pas possible de reprendre son vieux téléviseur parce que le fabricant n'existait plus ou qu'il avait été vendu avant l'entrée en vigueur de la loi. C'est ainsi qu'en novembre 2007, nous avons vu, partout en France, les premières collectes d'équipements électriques chez les particuliers, ainsi que l'apparition de l'éco-contribution visible sur les étiquettes (4 euros pour un téléviseur, 10 euros pour un réfrigérateur, quelques centimes d'euros pour une lampe à économie d'énergie, etc.). Cet argent est collecté par des éco-organismes tels que Récylum, ce qui nous a permis de mettre en place des bacs de collecte chez des distributeurs, dans des déchetteries municipales. C'est d'ailleurs pour cette raison que le recyclage commence maintenant à rentrer dans les habitudes du grand public.
Mesures.Et qu'en est-il pour les équipements électriques professionnels? Hervé Grimaud. La directive DEEE s'applique également à ces équipements, mais à la différence des déchets provenant des ménages, chaque producteur est responsable des produits qu'il a mis sur le marché depuis l'entrée en vigueur de la loi, à lui d'organiser seul la collecte et le traitement, ou à travers un éco-organisme. Avant 2005,
c'était l'industriel ou le détenteur professionnel qui était responsable. Aux tout débuts, les fabricants d'équipements professionnels ne se sont pas empressés, sachant que les produits venant d'être vendus n'arriveront en fin de vie que dans plusieurs années. Mais, avec le retour d'un nombre croissant de leurs produits, les producteurs ont décidé d'organiser la collecte de tous leurs produits, et bien souvent sans se soucier de savoir si les produits avaient été mis sur le marché après ou avant 2005. La pression réglementaire augmentant et les clients posant de plus en plus de questions, le recyclage devient de plus en plus souvent un service complémentaire proposé par les fabricants à leurs clients. C'est d'ailleurs l'exemple de notre partenariat avec le fabricant d'instruments de pesage Precia Molen. Quand la société nous a choisis pour récupérer leurs produits chez les clients (soit sur sa demande lors de l'installation d'un nouveau système, soit sur la demande de son client qui démantèle une installation sans la remplacer), Precia Molen s'est dit qu'au lieu de laisser les pièces usagées chez le client, les équipes de maintenance pouvaient les ramener dans ses agences, charge ensuite à nous de les récupérer pour les recycler.
Mesures.Est-ce que le partenariat avec Precia Molen est un exemple souvent mis en place, ou est-ce plutôt un cas particulier?
Hervé Grimaud. Dans le recyclage des équipements électriques et des déchets d'une manière générale, les enjeux sont de plusieurs domaines: le traitement, la dépollution, le démantèlement et la collecte bien évidemment. Comme la directive a un objectif environnemental, il ne s'agit pas de faire circuler des camions partout en France pour aller chercher des produits par paquets de deux kilogrammes. L'un des défis est ce que l'on appelle la massification, à savoir regrouper les volumes de déchets pour limiter les déplacements. Pour cela, il existe plusieurs manières de faire. L'une est évidemment de travailler avec les distributeurs, tels que Rexel, Sonepar, la Plateforme du Bâtiment, etc., chez qui on met à disposition des bacs, ce qui permet d'enlever 1 tonne à chaque déplacement, et non 3 kg une fois, 10 kg une autre fois. Avec les entreprises, un client de Precia Molen par exemple, en plus de son système de pesage, elles ont aussi du matériel informatique, des éclairages et encore pleins d'autres choses. Comme nous sommes financés par 1 500 industriels et metteurs sur le marché d'équipements du bâtiment, d'instruments de mesure, d'automatismes, etc., c'est un moyen de massifier les volumes de déchets chez les détenteurs et ainsi leur apporter un service plus global. Et notre périmètre s'accroît tous les jours.
Collecter 60 000 t d'équipements professionnels par an
En tant qu'éco-organisme, Récylum perçoit les contributions de ses adhérents ayant choisi l'organisme pour organiser la collecte et le recyclage de leurs produits. La répartition de ses contributions est de 17 M€ pour les lampes et de 6M€ pour les équipements professionnels. En masse, la répartition est inversée, puisque les équipements professionnels représentent 60000t par an et les lampes 10000t, soit environ 44% des lampes usagées en France. Les lampes sont une filière beaucoup plus coûteuse à cause d'une collecte dans de très nombreux magasins et aux enjeux mercuriels au niveau du traitement. En ce qui concerne les équipements professionnels, la collecte atteint seulement près de 15% des équipements professionnels. Sachant que, selon la directive européenne, 65% du tonnage vendu par an devrait être collecté et recyclé. Il y a donc encore du chemin à faire… |
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Mesures. À l'origine, Récylum avait en charge l'organisation de la collecte et du traitement des lampes… Hervé Grimaud. Si Récylum a effectivement été créé par les fabricants de lampes à économie d'énergie pour s'occuper des lampes fluocompactes, des tubes fluorescents et autres types d'éclairage, nous nous occupons depuis 2009 de tous les équipements électriques du bâtiment, et depuis 2012 de tous les équipements électriques médicaux, instruments de mesure, automatismes industriels, etc. 175 metteurs sur le marché d'instrumentation de mesure nous ont déjà rejoints, à l'instar de Precia Molen, mais aussi Fluke, Keysight Technologies, Omron, Rohde & Schwarz… Et nous avons été agréés en janvier 2016 pour prendre en charge une nouvelle famille d'équipements, à savoir les outillages électriques. Ce que nous proposons est un service gratuit en ce sens où nous ne demandons pas d'argent pour le faire. Par contre le client, en achetant un produit, paie une contribution, d'une façon visible ou pas, et les metteurs sur le marché nous financent pour récupérer gratuitement les équipements chez leurs clients.
Mesures.Là se trouvepeut-êtreladif-ficulté pour les utilisateurs finaux de bien comprendre le fonctionnement du service, le fait que ce soit inclus dans le prix d'achat…
Hervé Grimaud. Alors que, pour les équipements électriques pour les ménages, la loi oblige que le montant de la contribution soit visible,ce n'est qu'une option pour les équipements électriques professionnels. Certains fabricants le mentionnent; d'autres ne le font pas pour des raisons de système d'information, de stratégie commerciale. L'une des difficultés auxquelles nous sommes confrontées est de faire passer le message suivant: les entreprises ont dorénavant le droit de faire enlever leurs équipements électriques, parce qu'elles le payent déjà, parfois sans le savoir.Autre confusion de la part des industriels, ils nous voient souvent comme un gestionnaire de déchets comme Sita ou Veolia, ce que nous ne sommes pas. À l'instar des prestataires en logistique, ces gestionnaires de déchets sont nos sous-traitants pour enlever et/ou massifier les déchets et les emmener aux centres de traitement, pour les premiers, et pour le recyclage proprement dit.
Mesures.À ce propos,les équipements électriques, et en particulier les instruments de mesure, se distinguent-ils des autres produits en termes de recyclage?
Hervé Grimaud. Pour les instruments de mesure, il peut exister des enjeux de dépollution. Certains appareils contiennent en effet encore des quantités importantes de mercure. D'autres machines peuvent présenter, pour les opérateurs, des risques de contact avec des produits infectieux, dans le diagnostic in vitro par exemple, ou avec des matières peu recomman-dables (sorbonnes, hottes aspirantes de laboratoire). Ou encore certains équipements sont fabriqués avec des plastiques dotés de retardateurs de flamme bromés qu'il s'agit d'isoler et de détruire complètement. Il existe ensuite des enjeux de valorisation, à savoir extraire un maximum de matières pour les recycler, comme les métaux.
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Malheureusement, il arrive très souvent qu'un équipement électrique avec une structure métallique soit considéré comme de la ferraille et qu'un équipement électrique avec une structure plas-tique soit vu comme quelque chose qui ne se recycle pas. Dans les deux cas, c'est une erreur: le contenu des bennes à ferraille est broyé après la récupération des boîtiers métalliques (les cartes électroniques ne sont pas recyclées), et le contenu des bennes DIB [déchets industriels banals, ndlr] partenenfouis-sement. Nous nous attachons à faire envoyer les équipements électriques dans les centres de traitement où les produits sont démantelés d'une façon organisée, via une alternance d'opéra-tions manuelles et automatisées, afin d'isoler les cartes électroniques, les piles, les plastiques avec retardateurs de flamme bromés, etc., et donc de dépolluer au maximum les produits et d'en recycler une majorité. La revente des matières issues du recyclage est alors répercutée sur le coût que l'on fait supporter à nos adhérents (les metteurs sur le marché, les fabricants d'équipements électriques) qui eux-mêmes l'incluent dans leur prix de vente, sous une forme visible ou pas.
Mesures.D'une manièregénérale,est-ce que les fabricants d'équipements électriques sont tous sensibilisés à cette démarche? Et si oui,est-ce qu'ils la mettent en place?
Hervé Grimaud. Il s'agit encore d'une démarche nouvelle pour les professionnels, même si des secteurs sont plus matures, plus formés que d'autres sur la reprise gratuite et plus généralement sur la responsabilité élargie du producteur. Et, quand l'un de nos adhérents veut aller encore plus loin, nous sommes là pour l'accompagner,comme avec Precia Molen. Ces adhérents plus engagés font ainsi évoluer les lignes dans le bon sens. Nous voyons petit à petit une appropriation par le marché du dispositif REP, de nombreux industriels ayant compris les bénéfices en tant que service. Des clients commencent même à prendre conscience de leur droit et à l'exprimer auprès de leurs fournisseurs, en leur imposant de l'achat d'un matériel à la reprise de l'ancien. Et, suite à quelques dérapages avec le système individuel de collecte et de recyclage, les pouvoirs publics sont entrés, il y a deux ans, dans un régime plus coercitif. Ils ont par exemple infligé près de 300000 euros d'amendes à des fabricants de matériels électriques professionnels qui ne remplissaient pas leurs obligations.
Mesures. Au-delà de proposer un service supplémentaire à leurs clients, la démarche REP peut-elle représenter un levier à d'autres niveaux pour les industriels?
Hervé Grimaud. Le rôle des éco-orga-nismes est de promouvoir et d'organiser la collecte et le recyclage auprès des fabricants, mais aussi de promouvoir l'écoconception. Nous travaillons ainsi de plus en plus avec nos adhérents, pour les aider à faire les bons arbitrages en termes de conception. Ce n'est pas tout de dire qu'un produit doit être éco-conçu pour être plus facilement recyclable, mais si ce que vous faites pour faciliter le recyclage complique sa fabrication, cela ne sert à rien. Il faut donc être en mesure de quantifier un impact, positif ou négatif, de manière à savoir si l'arbitrage en faveur de la fin de vie ne dégrade pas, au-delà de raison, la fabrication, et même l'utilisation, de l'équipement électrique. Par exemple, pour obtenir le Profil environnemental produit (PEP ou ecopasseport) d'un équipement, les industriels avaient, jusqu'à présent, à leur disposition des bases de données de fabrication et d'utilisation qui ne prenaient pas en compte la fin de vie. C'est pour cette raison que nous travaillons depuis deux ans à collecter des données de terrain pertinentes sur la «recyclabilité», sur les problèmes rencontrés dans le recyclage, sur l'énergie consommée, etc., en fonction de différents assemblages mis en œuvre, de différents matériaux utilisés.
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Mesures. J'imagine que nous ne sommes qu'au début de l'écoconception…
Hervé Grimaud. Je vais vous citer deux nombres: lors de notre première réunion sur l'écoconception, il y a deux ans, seuls dix adhérents y avaient participé ; lors de la dernière réunion en date, en février 2016, il y avait 70 adhérents. Cela confirme l'intérêt grandissant des entreprises pour le sujet, avec cependant des maturités différentes.Des entreprises comme Environnement SA, Legrand et Schneider Electric sont déjà allées très loin en termes d'écoconception, d'autres découvrent seulement le concept. Lors de ces mêmes réunions, les industriels vont sur le terrain et découvrent les problèmes que les opérateurs rencontrent pour démonter les produits. Les bureaux d'études imaginent souvent que le démontage d'un produit se fait dans l'ordre inverse des opérations de montage. Déjà, si la réglementation demande aux fabricants de tenir à disposition des recycleurs les informations pour le recyclage –beaucoup ne le font pas–, ce ne sont pas les produits actuels qui sont recyclés, mais ceux mis sur le marché il y a vingt ans et pour lesquels plus aucune documentation n'existe. Et les outils du recycleur sont plutôt le marteau et le pied-de-biche que la pince Bruxelles et la clé de 4. C'est ainsi que les bureaux d'études se rendent compte que coller des étiquettes sur des pièces en plastique pour indiquer quelle est la matière qui les compose empêche de recycler les pièces plastiques, parce que c'est un matériau hétérogène. Ou encore que du cuivre assemblé ne se recycle pas de la même manière que du cuivre pur, que les inserts « polluent » le plastique constituant un grand capot, qu'une pièce plastique, en polycarbonate par exemple, se recycle très bien, mais ne se recycle plus avec des mousses collées dessus pour atténuer des vibrations. Le recyclage a encore trop souvent une image artisanale, alors qu'il s'agit une industrie recherchant elle aussi une certaine rationalité.