Mesures.L'année dernière,le Syndicat des machines et technologies de production (Symop) et la Fédération des industries mécaniques (FIM) ont été auditionnés par le Conseil d'État au sujet des risques de la fabrication additive au regard de la propriété intellectuelle. Pourquoi s'en inquiéter?
Nicolas Parascandolo. Car les machines de fabrication additive grand public, ou «imprimantes 3D», sont de plus en plus répandues. Elles sont relativement peu chères (à partir de quelques centaines d'euros), et permettent de fabriquer des objets en plastique. Elles connaissent un certain déploiement notamment grâce aux «fab labs». Ces lieux, gérés par des associations ou des collectivités locales, permettent de mutualiser des outils de production auxquels le grand public, voire certains professionnels, n'ont pas forcément accès. L'impression 3D permet de s'affranchir de la fabrication classique, et éventuellement de reproduire des objets soumis à la propriété intellectuelle. Comme pour la musique ou les vidéos, à l'avenir, des modèles 3D pourraient être facilement partagés en ligne. Comment l'empêcher? Cela suscite des réflexions. Le Conseil d'État nous a sollicités car nous sommes à l'origine d'un regroupement des acteurs de cette filière pour l'industrie: les fabricants de machines, de logiciels, de poudre, de gaz, de pièces, les bureaux d'étude, etc. Ce groupe (www.la-fabrication-additive.com) vise à accélérer les actions d'émergence et de déploiement de la fabrication additive. De plus, la FIM a monté un groupe de travail sur la contrefaçon.
La fabrication additive regroupe plusieurs procédés différents. Mais tous consistent à superposer des couches de matériaux, que ce soit du plastique, du métal ou de la céramique.
Mesures. En quoi la fabrication additive industrielle se différencie-t-elle des imprimantes 3D grand public?
Nicolas Parascandolo. Les machines de fabrication additive professionnelles coûtent au minimum une dizaine de milliers d'euros. Certaines installations complètes peuvent coûter bien plus cher. Comme pour le grand public, il existe des machines pour fabriquer des pièces en plastique, mais d'autres utilisent le métal ou la céramique. Divers procédés existent. Il est possible de faire fondre du fil pour ajouter des couches les unes sur les autres. C'est la technique que l'on retrouve dans les imprimantes 3D grand public. Mais il est aussi pos-sible de travailler à partir de poudres, plastiques ou métalliques, que l'on fusionne par laser, par petites épaisseurs. Il existe une méthode par projection de liant pour agglomérer de la poudre. On obtient ainsi un objet structuré, mais très fragile, comme un château de sable. Il faut ensuite le passer au four pour le cuire, à une température très précise, pour le solidifier sans le fondre. Cette méthode est rapide et permet d'éviter les effets thermiques difficiles à gérer avec la fusion de métal. On peut également faire durcir une résine liquide dans une cuve, grâce à un laser. Les techniques de fabrication additive sont donc nombreuses.
Nicolas Parascandolo, chargé de professions au Symop
Nicolas Parascandolo est chargé de professions au Symop (Syndicat des machines et technologies de production). Il a la responsabilité de plusieurs groupes de travail autour de différents procédés de fabrication, dont celui consacré à la fabrication additive. Il a rejoint le Symop en 2001, où il a d'abord été responsable des questions techniques et réglementaires jusqu'en 2006. Auparavant, il a été responsable des affaires techniques au Syndicat des industries de l'outillage (SIO), de 1999 à 2001. Depuis 2016, il est aussi vice-président de l'association européenne du soudage, European Welding Association (EWA). |
Mesures. La fabrication additive industrielle présente-t-elle aussi un risque pour la propriété intellectuelle?
Nicolas Parascandolo. Oui, le risque existe. À terme, on pourrait imaginer qu'avec la fabrication additive, on travaille comme avec une imprimante papier, en s'affranchissant des contraintes de fabrication. Cela simplifierait la production qui comprend actuellement de nombreux réglages et savoir-faire avec les machines traditionnelles. Pour ces dernières, comme les machines d'usinage, il existe des effets mécaniques, dynamiques ou thermiques qui font qu'un incident est toujours possible. Il faut donc surveiller la fabrication en permanence. En fabrication additive, l'idéal serait de s'affranchir de ces contraintes, et donc de rendre le procédé accessible avec moins de compétences. Ainsi, le risque de contrefaçon pourrait être accru. Pour autant, ce procédé ne permet pas de «cloner» un objet aussi facilement que l'on pourrait l'imaginer. Le niveau de maturité de cette technologie ne correspond pas au fantasme de l'impression accessible à tous. Cela reste un procédé complexe, qui n'est à ce jour pas encore assez optimisé ni assez déployé pour être vraiment simple. Il faut des professionnels pour cela. L'idée d'une machine qui pourrait reproduire tous types d'objets est peut-être juste pour certains objets simples, mais beaucoup d'objets finis sont trop complexes pour être reproduits dans leur intégralité par fabrication additive. Notamment parce qu'ils intègrent des technologies différentes. Prenons l'exemple d'une oreillette pour téléphone portable : elle contient de l'électronique, il serait donc impossible de la reproduire uniquement en fabrication additive.
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Mesures. La juridiction actuelle en la matière est-elle compatible avec la fabrication additive?
Nicolas Parascandolo. Avec les juristes de la FIM, nous avons analysé les textes existants, et ce que l'on en retient, c'est que le corpus juridique est déjà adapté. Une œuvre est protégée, quelle que soit la façon de la fabriquer. Les mêmes lois s'appliquent avec la fabrication additive qu'avec n'importe quel autre procédé. Ça n'est donc pas un problème de technologie. Au Symop, nous avons retracé les points juridiques à protéger, tout au long de la chaîne de valeur, au fil des étapes de la construction d'une pièce. D'abord, il y a la création de la pièce, en CAO. Le modèle peut être protégé par un brevet, de la même façon que s'il est conçu pour l'usinage ou tout autre procédé. En général, les fabricants de pièces sont attentifs à cela, et respectent les restrictions de reproduction quelle que soit la technique. Ensuite, même en fabrication additive, il faut concevoir la recette,le programme de commande de la machine. Comment réaliser la pièce? Comment optimiser l'espace de travail et le volume de poudre, à partir d'un plateau d'une certaine dimension? La fabrication additive impose par exemple l'ajout de renforts pour que la pièce se tienne, à enlever lorsqu'elle est terminée. Il y a également des contraintes liées à la poudre, au gaz, à l'aménagement de la machine, aux posttraitements… Tout cela représente aussi un savoir-faire, qui est déjà protégé par la loi. Il faudra cependant savoir attribuer la propriété de cette recette à son auteur.
Mesures. Comment s'assurer que ces règles sont respectées avec la fabrication additive?
Nicolas Parascandolo. Il faut d'abord rappeler les règles qui régissent notre état de droit, et informer sur le rôle de chaque acteur, sa valeur ajoutée et sa responsabilité tout au long de la chaîne. Il faut mettre en place des normes, des documents techniques sur les procédés, et donner la possibilité de suivre et contrôler ce marché. Des travaux de normalisation sont en cours au sein de l'UNM 920, ainsi que des réflexions sur les éventuelles solutions techniques. Comment, par exemple, profiter des avantages d'Internet tout en faisant respecter la propriété industrielle ? Pourrait-on tenir des registres de l'utilisation des fichiers, voire les verrouil-ler?Onpourrait imaginer qu'un fichier envoyé à un utilisateur ne puisse être utilisé qu'une seule fois. On peut com-parer la situation de la fabrication addi-tiveàl'arrivée des imprimantes couleur, qui ont permis la fabrication de faux billets crédibles. C'était interdit par la loi, il a donc fallu trouver des solutions avec les fabricants d'imprimantes, comme l'impression de codes invisibles sur les papiers pour retrouver l'origine de l'impression. Les billets ont également évolué : aujourd'hui,on ne peut pas les falsifier avec une simple imprimante couleur. Il faut donc trouver des moyens techniques pour assurer la traçabilité avec la fabrication additive. Mais ce sont des problématiques générales dans l'industrie, il ne faut pas les faire reposer uniquement sur ce procédé en raison de sa nouveauté.
Informer les PME sur la propriété industrielle
« Il en découle un programme de promotion articulé autour de trois axes : la sensibilisation, la formation et l'accompagnement des entreprises dans l'usage et la maîtrise de leur propriété industrielle, pour leur permettre de défendre leurs droits, notamment à l'international. Une concertation permanente avec les entreprises permettra d'identifier les difficultés qu'elles rencontrent, et leur faire connaître les solutions de protection existantes. La FIM proposera notamment une aide à la constitution du dossier de droits de propriété industrielle, et un accompagnement pour les dépôts de plainte pour contrefaçon (www.fim.net). |
L'un des avantages de la fabrication additive est de permettre la réalisation de géométries impossibles à obtenir par des procédés traditionnels, comme l'usinage.
Mesures. La fabrication additive peut-elle être à l'origine de problèmes de sécurité, si elle est employée pour réaliser une pièce conçue pour un autrepro-cédé?
Nicolas Parascandolo. C'est possible, mais là encore, ça n'est pas une problématique spécifique à la fabrication additive. En cas de dysfonctionnement d'une pièce, il faut pouvoir identifier les responsabilités de chacun des maillons de la chaîne de fabrication. La pièce a-t-elle été mal dimensionnée ? La machine qui l'a fabriquée était-elle défaillante ? Le matériau de base n'était-il pas bon? Beaucoup de choses entrent en jeu. Quand une pièce est conçue, elle doit répondre à des caractéristiques mécaniques définies. Des logiciels de conception permettent de dessiner la pièce en fonction des contraintes auxquelles elle sera soumise, et de proposer différents modèles en fonction du procédé de fabrication. Le problème n'est donc pas de choisir la fabrication additive plutôt que l'usinage, mais de sélectionner le procédé le mieux adapté à la pièce. La fabrication additive permet notamment de réaliser des formes impossibles à obtenir avec des procédés traditionnels. Une fois la pièce conçue, la responsabilité du fabricant est en jeu, ainsi que celle du fournisseur de la machine. En effet, ce dernier doit pouvoir assurer que, si elle est bien utilisée, la machine répond au cahier des charges. Elle doit être conforme aux directives européennes, et son mode normal de fonctionnement doit garantir la sécurité de l'utilisateur et la conformité de la pièce.
Mesures.Comment éviter que l'adoption de cette technologie ne soit ralentie par ces craintes?
Nicolas Parascandolo. En ce qui concerne la contrefaçon, cette préoccupation est plus présente chez les politiques que chez les industriels eux-mêmes, comme le montrent les réflexions du Conseil d'État. Nous répondons à cela que le développement du marché doit se faire dans un cadre professionnel, dans le respect du corpus juridique existant, en informant les industriels à ce sujet.Au-delà de la seule question de la contrefaçon, l'adoption de la fabrication additive est ralentie par le manque de guides référentiels, assurant que ce mode de fabrication est bien éprouvé. Il en découle une nécessité d'effectuer des contrôles à toutes les étapes de la fabrication,ce qui contribue à l'inertie du marché aujourd'hui. Ces référentiels sont petit à petit mis en place par les pionniers qui développent des pièces,mais cette démarche prendra un peu de temps. L'Union de normalisation de la mécanique (UNM) travaille également sur des projets de normes qui devraient arriver prochainement en phase de publication. Il s'agit d'établir des règles de sécurité, afin que les utilisateurs n'inhalent pas des poudres ou des fumées nocives, ou ne s'exposent pas à des risques d'explosion.