De gauche à droite, Pascal Coutance (Mesures), Laurent Carraro (consultant), Alain Cadix (Académie des technologies), Grégory Brouillet (Bosch Rodez), José Gramdi (Université de technologie de Troyes) et Bertrand Delahaye (Safran).
José Gramdi, Université de technologie de Troyes
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Mesures. Quels nouveaux métiers avez-vous vu apparaître ces dernières années par rapport à la mise en place progressive de l'industrie du futur?
José Gramdi. Permettez-moi, d'emblée, de préciser que l'industrie du futur, ce n'est pas automatiser ou robotiser l'usine du passé. Il s'agit plutôt de remettre à plat les modèles existants qui ont été élaborés à l'époque où la technologie de l'information s'appelait le papier. Et ces modèles restent encore en vigueur aujourd'hui. Donc, tout l'enjeu aujourd'hui pour développer l'industrie du futur, c'est de réinventer ces modèles de pilotage et de management de l'industrie. Ces modèles du passé se caractérisent justement par une approche cloisonnée de nos organisations, souvent par le biais d'indicateurs lo-caux, mis en place un peu partout, où chacun essaie d'optimiser sa propre partie du problème.Or, aujourd'hui,ces modèles sont complètement dépassés, car il faut une vision globale de l'entreprise industrielle où tous les acteurs de l'entité sont connectés, tant à l'intérieur qu'au dehors de l'entreprise. Donc, pour en venir à votre question, les métiers qui émergent, ce sont justement ceux du management avec des profils qui vont avoir cette vision transverse des choses et qui seront pluridisciplinaires et capables de parler à la fois avec un roboticien,un contrôleur de gestion,un responsable commercial, etc., pour donner une vision globale de la performance et de la transformation de l'en-treprise. Ce sont ces métiers qu'il faut promouvoir. Par ailleurs, on va passer des gros modèles centralisés à des petites unités autonomes dont il faudra former les managers qui devront être capables de conduire ces unités comme des chefs d'entreprise. Voilà les deux grands métiers que j'entrevois dans le cadre du développement de l'industrie du futur avec toujours pour objectif, non pas d'être productif seul dans son coin, mais de viser un optimum global de l'entreprise. Pour moi, c'est vraiment ça l'enjeu de l'industrie de demain.
Mesures. Monsieur Delahaye, Safran est à la pointe de la numérisation des sites de production.Vous avez donc vu l'évolution des métiers industriels dans votre groupe. Qu'avez-vous constaté en la matière?
Bertrand Delahaye. Tout d'abord, nous partageons tous autour de cette table le diagnostic que l'industrie du futur n'est pas qu'une simple évolution de l'industrie, mais bien une disruption, voire une révolution. Concernant l'évolution des métiers industriels, il y a deux aspects à considérer. Tout d'abord, il ya effectivement l'avènement de nouveaux métiers, comme par exemple ceux liés au développement de l'impression 3D, qui n'existaient pas il y a encore quelques années. Et puis, il existe des métiers qui ont fortement évolué ces dernières années du fait de l'industrie du futur ; je pense notamment aux métiers de la maintenance. En effet, nous passons d'une maintenance «réparatrice », qui répare les machines quand elles tombent en panne, à une maintenance beaucoup plus prévisionnelle bâtie à partir des données recueillies par un certain nombre de capteurs et d'objets connectés implantés dans les sites de production, et analysées par de l'intelligence artificielle, de sorte que le maintenancier est capable d'intervenir en amont pour s'affranchir des pannes avant qu'elles n'arrivent. On peut faire l'analogie avec la médecine traditionnelle, où un médecin prescrit un traitement à une personne malade, et la médecine chinoise basée sur la prévention et l'anticipation de la maladie. Cette évolution des métiers de la maintenance implique de nouvelles compétences techniques, mais également une nouvelle façon de travailler et d'appréhender la maintenance, sans oublier ce qu'a évoqué par M. Gramdi, à savoir une nouvelle manière de gérer la produc-tion qui nécessite aujourd'hui une collaboration entre différents services de l'entreprise qui n'étaient jusque-là pas habitués à travailler ensemble. Il s'agit donc d'un changement très important auquel nous assistons.
Mesures.L'enseignement traditionnel est-il à la hauteur de ces nouveaux enjeux? Autrement dit, existe-t-il en France des formations bien adaptées aux besoins de l'industrie du futur et des industriels qui veulent la développer dans leur entreprise?
Alain Cadix. Je voudrais tout d'abord réagir par rapport aux nouveaux métiers que l'on voit apparaître. Certes, l'industrie du futur est fortement marquée par la transition numérique, mais c'est aussi une industrie qui prône la transition énergétique et écologique, l'économie circulaire, et il y a par conséquent des métiers qui se développent aussi dans ces domaines-là. Concernant le monde de la formation proprement dit, il faut d'abord préciser que c'est un univers extrêmement hétérogène: il y a l'Éducation nationale, les branches professionnelles, l'enseignement supérieur, public ou privé, etc. Ce que l'on peut dire néanmoins,c'est que, globalement, c'est un système qui se caractérise par une certaine constante de temps dans son évolution, constante de temps qui n'est pas celle de l'évolution de l'industrie qui, elle, évolue beaucoup plus vite, surtout en ce moment, même s'il faut reconnaître qu'un effort est fait au niveau de l'Éducation nationale pour coller à cette dynamique actuelle de l'industrie. Il me semble que tout ce qui relève du système centralisé, en particulier l'Éducation nationale,doit plutôt s'attacher à ce qui évolue le plus lentement, c'est-à-dire les compétences et les savoir-faire de base qui constituent le socle, le cœur de l'enseignement, et tout ce qui concerne l'enseignement périphérique,qui évolue beaucoup plus vite, pourrait être pris en charge par les territoires, par les entreprises. Par exemple, il existe 100 bacs professionnels et c'est très difficile, à un niveau centralisé, de les gérer et encore plus de rester dans le coup pour répondre aux besoins réels des industriels. Donc, je crois qu'il faut penser à un système éducatif basé sur un socle constitué des formations et enseignements de base, qui serait dévolue à l'Éducation nationale par exemple, et complété par des formations périphériques effectuées par le biais de structures qui seraient beaucoup plus proches de l'industrie. C'est d'ailleurs un peu le sens de la loi Pénicaud qui a été promulguée en septembre dernier.
Mesures.Monsieur Carraro,vous avez justement écrit un rapport il y a un an sur le thème de l'adéquation entre le système éducatif français et l'évolution de l'industrie, et plus généralement de l'économie. Quelles en étaient les conclusions?
Laurent Carraro. Effectivement, on note des différences de constante de temps très nettes entre le système éducatif et les besoins de l'industrie. Cela concerne effectivement les bacs professionnels, mais on peut étendre ce constat aux BTS et aux DUT, qui sont des formations dont le pilotage est totalement centralisé et dont les programmes pédagogiques sont institués dans des instances nationales, certes tout à fait respectables, mais dont les constantes de temps ne répondent pas aux besoins des industriels lorsque les métiers évoluent rapidement, comme c'est le cas actuellement dans l'industrie. Si on prend le cas de la formation à la maintenance prédictive, qui est un élément clé de l'industrie du futur, il est important de pouvoir modifier les programmes de BTS maintenance pour s'adapter à cette évolution majeure. Si on le fait aujourd'hui, c'est très bien parce que, demain, les jeunes qui seront formés à ce BTS pourront intégrer plei-nement ces nouvelles compétences dans leurs métiers. Mais, la difficulté, c'est qu'on ne sait pas actuellement comment évolueront les métiers de la maintenance. Peut-être y aura-t-il des évolutions significatives à opérer d'ici deux ou trois ans, évolutions qui seront difficiles à intégrer dans les BTS maintenance compte tenu de la constante de temps de l'Éducation nationale et des programmes nationaux. Donc, on va essayer de continuer à former des jeunes en BTS maintenance en essayant de modifier un peu les choses et de compléter le programme pour à la fois respecter le programme national et l'examen final qui sanctionne la formation et répondre aux besoins qui viennent du terrain. Il faut pour cela s'associer au secteur économique, pour construire ensemble quelque chose. Mais cela nécessite de donner une certaine marge de manœuvre, qui manque encore aujourd'hui, aux différents acteurs, en particulier aux enseignants souvent très conscients de ces évolutions. Mais encore faut-il avoir les moyens pour le faire.
Grégory Brouillet, Bosch Rodez
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Mesures. Monsieur Brouillet, des industriels s'impliquent de plus en plus dans la formation et l'enseignement. Bosch à Rodez s'inscrit-il dans cette démarche et, si oui, de quelle manière?
Grégory Brouillet. L'Industrie 4.0 a été un fait marquant chez Bosch dans les années 2013-2014 en France et dès 2010 en Allemagne. Et très vite s'est posée la question de savoir comment embarquer l'humain dans cette transformation numérique car c'est une question fondamentale. Comment peut-on espérer mettre en place cette transformation industrielle si on ne fait pas rêver les jeunes, si on ne peut pas recruter demain au niveau local ? La philosophie de Bosch est très axée sur la formation, l'apprentissage. C'est ainsi que nous est venue l'idée de créer un banc pour former notre personnel à différentes technologies de l'Industrie 4.0, banc que nous avons d'ailleurs récemment fait évoluer avec des nouvelles fonctions de connectivité, de supervision, de
dit souvent que les jeunes sont rarement motivés par leur travail. Mais qu'avons-nous fait pour les motiver? Donc, c'est important de leur montrer ce qu'on fait réellement dans les usines. Et avec l'arrivée de technologies telles que la réalité augmentée ou la réalité virtuelle, on peut réellement s'éclater dans l'industrie car il y a vraiment des métiers extraordinaires à y découvrir.
Bertrand Delahaye, Safran
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Mesures.Safran a récemment créé un centre de formation dédié à l'industrie du futur avec d'autres industriels et divers organismes. Monsieur Delahaye, pouvez-vous nous décrire en quoi consiste ce centre de formation?
Bertrand Delahaye. Tout d'abord, un chiffre: dans les 4 ans qui viennent, 20000 collaborateurs, sur les 90000 que compte Safran dans le monde, vont partir en retraite. Il s'agit d'un vrai sujet industriel pour notre groupe car, si on n'a pas le personnel pour produire, on n'arrivera pas à suivre les montées en cadence de nos grands clients que sont, entre autres, Airbus et Boeing. Donc, avec ce centre de formation qui s'appelle Campus Fab, nous avons créé un écosystème qui se caractérise par une grande flexibilité et qui a été mis en place par un consortium qui, outre Safran, comprend des industriels comme Fives dans le domaine de la maintenance, Dassault Systèmes dans le secteur des outils logiciels, mais aussi des organisations professionnelles comme le Gifas (Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales), le pôle de compétitivité ASTech, qui prend en compte les problématiques des PME et des ETI qui sont encore plus importantes que celles des grands groupes, le GIM (Groupement des industries métallurgiques), ainsi que des organismes de formation comme la Faculté des métiers de l'Essonne, l'Aforp qui forme à la métallurgie, des écoles d'ingénieurs, etc. Mais on ne s'est pas arrêté là. Nous sommes également allés chercher des partenaires qui sont aujourd'hui au nombre d'une vingtaine (DMG Mori, Hexagon, Kuka, etc.) et qui nous fournissent divers équipements. Et à partir de cet écosystème, nous avons construit une école qui forme à l'usine du futur, depuis le bac jusqu'à l'enseignement supérieur (niveau ingénieur, mastère, etc). Il existe deux volets dans Campus Fab. Un volet formation initiale avec un point fort sur l'apprentissage –
Mesures.Monsieur Gramdi,vous êtes à l'origine d'un mastère spécialisé dans les nouvelles méthodes de gestion industrielle, le mastère MPTI, «Manager de la performance et de la transformation industrielle ». En quoi consiste-t-il?
José Gramdi. Nous sommes partis du constat que, de la même manière que nous avions organisé nos entreprises en silos, nous avions aussi cloisonné les enseignements et les disciplines. Or aujourd'hui, on a besoin d'ingénieurs et de managers avec des visions transverses. C'est vraiment cela qui constitue l'origine et l'ADN du mastère MPTI. On y accueille des ingénieurs, des cadres en poste et l'idée est de les former à toutes les disciplines de l'entreprise pour qu'ils aient une vision globale de l'entreprise et de ses problématiques et pour les sensibiliser à ce manque de connexions entre services et entre disciplines. Notre enseignement est, pour une grande part, consacré à la transition écologique, à l'économie circulaire et à l'écologie industrielle, ainsi qu'au management des entreprises. Mais surtout, le socle de cette formation, c'est une vision systé-mique de l'entreprise, de l'usine. La systémique est une école de pensée qui est quasiment absente de l'enseignement en France. Or pour moi, l'usine du futur, c'est un système, une espèce d'organe vivant qui s'adapte en permanence aux perturbations, aux fluctuations car nous sommes dans un monde turbulent, de moins en moins prévisible. Il faut par conséquent être capable de mettre en place des organisations qui vont s'adapter à ce que l'on va découvrir dans les années à venir. On remet donc à plat beaucoup de choses, les indicateurs de performance, le management des entreprises. On revisite quasiment tout avec toujours cette idée qu'avec les nouvelles technologies, on peut –ou devrais-je dire on doit– changer les règles actuelles qui régissent notre manière de gérer nos entreprises, de produire, et qui, comme je l'ai dit tout à l'heure, étaient basées sur le papier.
Mesures. Comment faire monter en compétence les PME industrielles, sans que cela leur prenne un temps fou, pour répondre à leurs besoins. Que préconisez-vous pour accompagner ces PME vers la transition numérique de l'industrie?
Alain Cadix. L'univers des PME est très hétérogène. Si l'on considère les PME manufacturières, on comptabilise environ 33000 entreprises, ce qui représente à peu près 800000 emplois. Une récente étude OpinionWay pour Mazars montre qu'environ la moitié des patrons de PME n'ont pas entendu parler de l'Industrie 4.0 ou ne savent pas à quoi ça correspond. Il me semble que c'est un problème culturel et que le développement de l'Industrie 4.0 dans les PME va dépendre de l'approche qui va être mise en œuvre auprès des patrons de ces PME. Débouler dans une entreprise pour essayer de lui vendre un système de PLM ou de MES, ou un robot industriel, ça ne marchera pas. Je pense qu'il faut partir des problèmes de la PME, de son vécu, des éventuels dysfonctionnements qu'elle rencontre pour amener petit à petit le patron à prendre en compte le fait que des technologies et des compétences nouvelles peuvent l'aider à résoudre ses problèmes. Il ne faut pas être dans le «push» technologique car ça ne marchera pas. La deuxième chose qu'il est important de comprendre, c'est que les patrons de PME écoutent d'abord les patrons de PME. Par conséquent, c'est par ses pairs et par leur expérience qu'un patron de PME peut évoluer.Autrement dit, il faut organiser une vie sociale industrielle sur les territoires par le biais, par exemple, des clusters d'entreprises, des pôles de compétitivité, des associations d'entrepreneurs, etc., qui permettra aux chefs d'entreprise qui ont un peu de retard en matière d'Industrie 4.0 de rencontrer des chefs d'entreprise qui ont pris un peu d'avance et de bénéficier de leur expérience en la matière. Et que ce soit pour le chef d'entreprise ou pour les salariés de la PME, cet échange concourt à la réduction du risque perçu pour aider le patron de PME à franchir le pas et ses collaborateurs à accepter ces nouvelles solutions. Il est également important de noter que les grandes entreprises ont un rôle d'entraînement capital pour l'acceptation de cette évolution par les PME et leur accompagnement dans cette transition industrielle. Des études montrent que le comportement des chefs d'entreprise évolue, en particulier qu'ils commencent à considérer la formation comme un réel un levier d'amélioration des performances de l'entreprise. Mais il existe toujours des obstacles, notamment le coût ou le fait que le salarié ne fait plus son travail le temps de sa formation, ce qui peut s'avérer gênant dans le cas d'une petite entreprise car ça complique les choses au quotidien. Du coup, il est important de promouvoir les actions de formation en situation de travail,notamment grâce aux technologies numériques qui permettent de faciliter l'accès à la connaissance et le développement de compétences. Ceci étant, une technologie éducative sans qu'une activité d'accompagnement ou qu'une communauté apprenante, même de petite taille, ne soit mise en place, cela ne marche pas. Donc, il faut voir comment il est pos-sible de transformer le poste de travail en un poste de formation pour que le salarié puisse se former sans quitter son poste de travail et ainsi lever les obstacles au développement de la formation dans les PME. Et les outils numériques y aident.
Laurent Carraro, consultant
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Mesures. À vous entendre les uns et les autres, le terme « écosystème » apparaît comme primordial.
Laurent Carraro. Effectivement,on voit bien que la notion d'écosystème devient centrale dès qu'on aborde des questions d'évolution des compétences professionnelles au sein de l'entreprise, dès qu'on aborde des questions d'évolution plus globale d'un tissu de PME en lien avec un ou plusieurs grands donneurs d'ordre. Malheureusement, en pratique, ce n'est pas toujours simple à gérer car il ne faut pas oublier qu'on reste dans une situation de compétition entre entreprises. Mais l'écosystème est indispensable pour sensibiliser et accompagner les entreprises, écosystème qui comprend des acteurs publics ou parapublics, comme par exemple les chambres de commerce dont on n'a pas parlé jusque-là. L'autre difficulté, c'est aussi la multiplicité des acteurs. Ce qui peut ajouter à la confusion, le patron de PME pouvant se demander: «par où dois-je commencer?»
Alain Cadix. Pour compléter, je dirais qu'une initiative nommée «territoires d'industrie» a été lancée récemment. Au nombre de 124, je crois, ces territoires d'industrie ont justement pour rôle de créer une certaine dynamique industrielle au niveau des territoires en animant des écosystèmes locaux. Le problème est que ces 124 territoires d'industrie qui viennent d'être annoncés ne couvrent qu'entre 50 et 60% du potentiel industriel, mais cela va dans le bon sens pour ne pas laisser le patron de PME seul.
Mesures. Monsieur Brouillet, j'imagine qu'autour de Bosch Rodez gravite tout un écosystème de partenaires, de PME, qui sont confrontés à ces problématiques de formation, de recrutement?
Grégory Brouillet. On fait effectivement partie de clusters locaux, comme la Mecanic Vallée, par exemple, et ce sont des sujets que nous abordons régulièrement. Nous travaillons aussi avec l'IUT de Rodez à la création d'une licence qui sera dédiée à la maintenance connectée et qui permettra de rajouter différentes briques aux formations de type BTS ou DUT, telles que la connectivité machine, les IoT, la sécurité des données, etc. Donc, chez Bosch Rodez, nous serons amenés à effectuer des modules d'enseignement car il n'est pas toujours facile de trouver des enseignants dans ces domaines très pointus. C'est normal qu'un gros industriel comme Bosch s'implique au niveau local pour essayer de motiver les jeunes pour travailler et s'épanouir dans ces nouveaux métiers de l'industrie.
Mesures. Pensez-vous justement que l'industrie du futur apporte une nouvelle attractivité aux métiers de l'in-dustrie,attractivité qui permettrait de trouver la relève par rapport aux salariés de l'industrie qui partent en retraite, par exemple?
Laurent Carraro. Je le pense, mais encore faut-il le faire savoir. L'Usine extraordinaire, un événement porté par un grand nombre de syndicats professionnels et qui s'est concrétisé en novembre dernier au Grand Palais à Paris, est selon moi un bon exemple d'initiatives communes pour montrer au grand public, et en particulier aux jeunes, l'attractivité des nouveaux métiers de l'industrie. D'ailleurs, il est important de noter que cet événement, dont la première édition était nationale et parisienne, va se décliner aussi en région dans les mois à venir, sans oublier que d'autres événements, plus modestes, se développent également en régions avec le même objectif. Ce travail porte ses fruits car les jeunes qui visitent ce type d'événements montrant les aspects technologiques, mais aussi humains de l'usine du futur, sont souvent surpris par ce qu'ils découvrent car ils n'imaginaient pas que de tels métiers, de telles technologies, prennent place dans les usines.
Malheureusement,à côté de ça,certaines initiatives vont dans le mauvais sens. Comme par exemple l'arrêt décidé par l'Éducation nationale de la parution de la revue
Alain Cadix. Je souscris tout à fait, ce point de vue et déplore également que cette revue soit arrêtée. Ce qui me paraît aussi important de dire, c'est que c'est au collège que tous les jeunes ont un premier contact avec l'enseignement de la technologie. Je pense donc qu'il y a là un effort considérable à faire –d'ail-leurs, les programmes ont été rénovés il y a 3 ou 4 ans– pour faire évoluer l'enseignement technologique au collège, car c'est à ce moment-là que l'on peut commencer à mettre dans la tête des jeunes que la technologie peut donner lieu à des métiers intéressants, à des carrières valorisantes. Une bonne initiative de l'Éducation nationale est l'introduction dans les lycées d'un nouvel enseignement commun à toutes les classes de seconde appelé « science numérique et technologie». C'est vraiment un pas en avant intéressant de la part de l'Éducation nationale par rapport à l'enseignement des technologies pour tous. Ça va clairement dans le bon sens.
Bertrand Delahaye. Nous faisons également venir des collégiens sur Campus Fab, dans le cadre de visites actives, avec leurs enseignants mais aussi leurs parents. C'est effectivement là que se joue une partie du combat.
Grégory Brouillet. C'est aussi le cas dans notre usine de Rodez et, à la fin, les collégiens nous remercient, souvent avec les yeux qui brillent, car ils ne s'imaginent pas au départ ce qu'il y a derrière les murs de l'usine Bosch Rodez qu'ils voient tous les jours.
José Gramdi. Ce n'est pas nous, les anciens, qui allons inventer l'usine du futur,car nous sommes trop ancrés dans l'usine du passé. Ce sont les jeunes qui vont l'inventer. Il faut donc les attirer vers ces métiers technologiques, mais aussi leur donner les clés: si on les fait venir dans l'industrie, ce n'est pas pour leur dire de faire comme avant. Ce qu'il faut comprendre également, c'est que les jeunes ne raisonnent pas comme nous. Nous, notre but, c'était de réussir dans la vie. Les jeunes, eux, veulent réussir leur vie. Ils sont en quête de sens. Ils n'ont pas envie de rentrer chez Renault à 20 ans et d'en sortir à la retraite. Ils ont envie de s'épanouir dans leur travail. D'ailleurs, je ne pense pas du tout que l'on va attirer les jeunes avec de la technologie, même si cela va les amuser au départ. En revanche, ils sont de plus en plus préoccupés par les grands enjeux, comme les enjeux environnementaux. Bref, ils ont envie de changer le monde.Et on les attirera dans l'industrie uniquement si on a de fortes valeurs affichées, en matière de développement durable notamment, s'ils ont vraiment le sentiment de participer à un projet d'entreprise et de contribuer à un avenir meilleur. C'est en tout cas ma conviction. Il faut retrouver du sens, ce que l'on a un peu perdu dans nos entreprises.
Mesures. L'État est-il suffisamment impliqué dans la formation des jeunes aux nouveaux métiers de l'industrie?
Laurent Carraro. Je pense qu'il ne faut pas tout attendre de l'État. L'État a certes des choses à dire, à faire, mais il n'a pas vocation à réglementer finement les compétences développées pour tel ou tel type de métiers par rapport à un besoin industriel local qui ne sera d'ailleurs pas forcément le même que celui du territoire voisin. L'État est bien évidemment essentiel pour donner les grandes orientations, mais il ne faut pas qu'il s'occupe de tout.
Alain Cadix, Académie des technologies
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Alain Cadix. Je suis entièrement d'accord avec ça. Il existe par exemple des initiatives tout à fait remarquables de lycées professionnels dans les territoires avec des enseignants qui travaillent de manière très étroite avec l'industrie et des gens de l'industrie qui s'impliquent dans la vie des lycées qui réussissent à se doter d'équipements. Mais toutes ces initiatives locales qui répondent à des besoins locaux, Paris ne les voit probablement pas et c'est sans doute très bien ainsi.