Que ce soit les aéronefs, les véhicules terrestres, les soldats eux-mêmes, les matériels et équipements militaires intègrent de plus en plus de l'électronique. « Les forces armées (fantassins, drones, véhicules) sont de plus en plus modernes et de plus en plus communicantes », constate Richard Keromen, directeur marketing pour la région Méditerranée chez National Instruments. « Il y a un effort mondial à créer des forces armées plus petites et intégrant toujours plus de technologies », ajoute Darren Nicholls, EMEAI Aerospace & Defense Marketing Industry Manager chez Keysight Technologies. Qui dit électronique, dit forcément test et mesure. Et avec des groupes industriels comme Airbus, Arianespace, Dassault Systèmes, Safran ou encore Thales, la France est très bien positionnée sur ce domaine et représente donc un marché porteur pour les fabricants de solutions de test et de mesure.
La situation n'est toutefois pas aussi simple que cela, selon que l'on s'intéresse au secteur aéronautique, spatial ou de la défense. « Dans l'aéronautique, le plus grand donneur d'ordre se trouve actuellement en phase de production, avec la fabrication de différentes déclinaisons de sa plateforme. Cela rend le marché du test et de la mesure atone, et se traduit aussi par une forte pression sur les prix », explique Éric Fauxpoint, directeur du développement des nouvelles activités EMEA chez Anritsu et vice-président trésorier de l'Acsiel Alliance électronique. Les fabricants cherchent des vecteurs d'innovation ailleurs, dans les télécommunications avec la 5G par exemple.
« Dans le secteur du spatial, nous constatons, au sein de l'Acsiel Alliance électronique, deux phénomènes différents : les industriels français rentrent des contrats, ce qui s'accompagne par la consommation d'appareils de test et de mesure. À cela s'ajoute le phénomène de constellation de petits satellites pour rendre l'Internet haut débit accessible partout dans le monde », poursuit Éric Fauxpoint. Ce marché se distingue par une progression rapide du nombre de satellites relativement économiques et avec une durée de vie orbitale courte, des lancements bien plus fréquents et aux coûts plus faibles, l'utilisation prolifique des composants sur étagère. « Ces nouveaux acteurs recherchent ainsi des solutions capables de réduire les coûts de test et les temps de mise sur le marché », insiste Renaud Courtois, responsable Grands comptes Aérospatial & Défense chez National Instruments France. Un bémol, néanmoins : un certain nombre de ces nouvelles sociétés présentes dans l'Internet par satellites ne produisent pas en Europe.
Les équipements dans le domaine de l'aéronautique et de la défense évoluant, les solutions de test et de mesure doivent accompagner ces changements. À l'instar, par exemple, de la génération d'échos radar pour le test des récepteurs (solution SMW-K78 de Rohde & Schwarz).
« Enfin, les industriels présents dans la défense affichent des services à l'exportation croissants, générateurs d'investissements en test et en mesure.Au point que certains de ces industriels sont confrontés à un manque de personnel qualifié », poursuit Éric Fauxpoint (Anritsu et Acsiel Alliance électronique). Jean Laury, AVP EMEA Oscilloscope Sales chez Teledyne LeCroy, fait toutefois remarquer que « l es Rafale vont certes générer du business pour Thales, mais pas pour nous, parce que la fabrication des avions se fera en Inde ou ailleurs. » Ce qui fait dire aussi à Darren Nicholls (KeysightTechnologies) que « le coût de développement et de production des futurs équipements est hors de portée financièrement et technologiquement de la plupart des pays européens seuls. D'où notamment la création de centres d'excellence multinationaux. Le changement le plus important est la transformation de la passation de marchés étatiques vers des achats directs ou du type “paiement à l'utilisation” ».
Des performances toujours plus élevées
Pour Françoise Sango-Carbonel, directrice commerciale et marketing Test & Mesure de Rohde & Schwarz France, « nous bénéficions par ailleurs, malheureusement, du contexte actuel des attentats, avec le renforcement des investissements pour la sécurité, la traque des terroristes, la cybersécurité. Même s'ils ne sont pas forcément à la hauteur des besoins, la France étant en retard – elle est plus réactive que proactive. » Ce que confirme Alain Ricard, Strategic Accounts pour l'Espagne, la France et le Portugal chez Tektronix, qui ajoute que « l'Etat ayant débloqué des budgets, nous avons constaté le lancement de nouveaux projets (contrôle d'accès, détection de dangers potentiels). Globalement, l'aéronautique et la défense sont des marchés importants, mais stables ».
Ce qui fait dire à Éric Fauxpoint (Anritsu et Acsiel Alliance électronique) que « de nouveaux clients, tels que les opérateurs de télécommunications qui ont investi des millions d'euros, les services étatiques, les armées, les services de secours, apparaissent dans le domaine de la surveillance du spectre, les outils devenant des moyens de gestion et non plus de diagnostic. » Renaud Courtois (National Instruments France) affirme même que « l'une des grandes tendances concerne la maî-trise de l'information. Aussi bien l'échange des données entre les différents acteurs sur un champ de bataille que dans le cyberespace. Le ministère des Armées a beaucoup investi dans la cyberdéfense (bâtiments construits, person-nels compétents). On parle même de créer une 4 e armée ».
De par la bande passante accrue, l'importance d'une latence minimale, la possibilité de mettre en œuvre des FPGA, le PXI est une plateforme clé pour les applications de test et de mesure dans l'industrie aérospatiale et la défense.
Comment se traduisent ces grandes évolutions au niveau du test et de la mesure ? « Il y a une escalade des performances, en termes de bande passante, de bande d'analyse, de précision, de niveau de bruit, etc. À cela s'ajoutent l'importance grandissante du numérique, même si l'analogique a encore de belles heures devant lui, ainsi que le développement de bus de plus en plus complexes, avec des protocoles spécifiques (codage Manchester, par exemple) », résume Françoise Sango-Carbonel (Rohde & Schwarz France). « Les radars de nouvelle génération et les équipements pour la guerre électronique ont besoin de bande passante plus élevée, de largeur d'analyse en temps réel. Notre tout dernier analyseur de signal large bande RSA7100A affiche une largeur d'analyse en temps réel jusqu'à 800 MHz », explique Alain Ricard (Tektronix).
Pour les applications de satellites, Keysight Technologies a développé une Reference Solution, basée sur une instrumentation modulaire et des logiciels, capable de surveiller de larges blocs de spectre et d'analyser d'une manière précise la modulation numérique.
C'est ainsi que les nouveaux équipements (radars, communications satellites) travaillent dans les ondes millimétriques. « Le besoin se fait jour également d'échanger des signaux RF acquis ou déjà enregistrés d'un équipement à des débits minimums de 10 Gbit/s, ce qui équivaut à une largeur de modulation d'environ 2 GHz », indique Darren Nicholls (Keysight Technologies). « Et n'oublions pas, en plus de la bande passante accrue, l'importance d'une latence minimale. C'est d'ailleurs l'une des raisons pour lesquelles nous avons choisi le standard PXI Express , rappelle Renaud Courtois (National Instruments France). L'instrumentation modulaire offre d'autres avantages, tels que la création de systèmes de test multivoies et en cohérence de phase (typiquement une antenne MIMO) ou la possibilité de mettre en œuvre des FPGA. Ces derniers peuvent prendre en charge l'extraction de données, l'émulation de canaux de propagation, l'analyse de spectre en temps réel. » Et les instruments définis par logiciel complètent également l'instrumentation traditionnelle de par leur flexibilité et les économies qu'ils génèrent.
« Les oscilloscopes numériques voient, quant à eux, leur dynamique et leur sensibilité s'étendre et les dernières améliorations apportées aux générateurs de formes d'onde arbitraires portent sur l'amplification, afin d'accroître encore un peu plus les niveaux de sortie, et sur l'ajout de filtres intégrés pour améliorer la pureté spectrale », poursuit Alain Ricard. Toujours en oscilloscopie, Jean Laury (Teledyne LeCroy) constate que « les industriels recherchent des oscilloscopes facilement interfaçables à Matlab pour analyser les données, souvent en mode fréquentiel. À l'instar de ce qui se passe en automobile, les acteurs en aéronautique sont demandeurs de solutions pour analyser la puissance électrique (moteurs électriques pour se déplacer au sol). Mais cela n'est pas si simple, et l'on est plutôt à la limite de ce qui est réalisable ».
La MCO est encore plus importante
Les acteurs de la guerre électronique veulent aujourd'hui surveiller un spectre électromagnétique donné de plus en plus longtemps. D'où la tendance à disposer de systèmes d'enregis-trement et de rejeu large bande. La simulation est une chose intéressante, mais les utilisateurs préfèrent le contenu réel de l'environnement, pour réaliser des tests de régression, des traitements inconnus – la personne ne sait pas ce qu'elle cherche – ou des traitements trop complexes. « Le marché de l'aéronautique et de la défense recherche de plus en plus souvent des solutions de simulation et/ou d'émulation. Nous faisons évoluer notre environnement de conception Advanced Design Systems (ADS) et nous proposons également les émulateurs de canaux Propsim, développés par Elektrobit, repris en 2013 par Anite, après son rachat deux ans plus tard », rap-pelle Jacky Mütschler, responsable marketing EMEAI secteurs Aéronautique, Défense et Télécom chez Keysight Technologies.
En Maintenance en condition opérationnelle (MCO), les industriels cherchent à réaliser des opérations de maintenance au plus près du terrain, pour réduire encore les coûts. Les testeurs vont de plus en plus souvent sur site, pour un premier niveau de réparation.
S'il y a une contrainte que tous les industriels partagent, quel que soit leur domaine d'activité, c'est bien les coûts. « Tout le monde est à la chasse au prix et veut faire plus, plus vite, mais moins cher », affirme Victor Fernandes, European Manager chez Marvin Test Solutions. Mais les industriels présents dans l'aérospatial et la défense sont aujourd'hui confrontés à une équation complexe. « Les avions et autres équipements actuels, développés il y a 20-25 ans, voient leur durée de vie reconduite pour 10 ou 15 ans supplémentaires, ce qui imposera une maintenance pour une durée totale de 40 ans. Excepté que ces équipements ont été entre-temps mis à jour et que, par conséquent, les systèmes de test, eux aussi conçus à l'époque, ne sont plus en phase avec la nouvelle électronique », rappelle Victor Fernandes.
À l'image du nouvel analyseur de signal RSA7100A de Tektronix, les instruments de test et de mesure voient leur bande passante ou leur largeur d'analyse en temps réel (jusqu'à 800 MHz pour le RSA7100A, par exemple) augmenter.
Les fabricants doivent donc faire en sorte que leurs testeurs puissent à la fois être capables de récupérer les informations nécessaires pour valider les anciens équipements et de supporter les tout derniers appareils. « Mais on ne se risque à modifier ni les interfaces, ni les programmes logiciels, car les industriels ne possèdent plus les compétences ni les personnels adéquats. D'où la demande pour des instruments identiques, que l'on arrive à trouver sur le marché de l'occasion, ou pour des appareils répondant aux mêmes commandes », poursuit Victor Fernandes. En ce qui concerne les nouveaux projets, les industriels se tournent vers des testeurs basés sur les standards de l'instrumentation modulaire (PXI, PXI Express, PCI, CompactPCI,VME), en fait des produits sur étagère, au lieu de recourir encore à des développements spécifiques, sauf peut-être pour les applications embarquées.
Toujours au niveau de la Maintenance en condition opérationnelle (MCO), une autre tendance se fait jour. Pour réduire encore un peu plus les coûts, les industriels cherchent à réaliser des opérations de maintenance au plus près du terrain. « Au lieu de renvoyer à la base mili-taire le module défectueux d'un équipement, voire en usine pour étalonnage et/ou réparation – le stockage et la logistique sont très onéreux –, les testeurs vont de plus en plus souvent sur site, pour un premier niveau de réparation », constate Victor Fernandes. Ce que confirme Françoise Sango-Carbonel (Rohde & Schwarz France) : « la portabilité des appareils et leur autonomie sont des critères importants pour pouvoir intervenir directement à bord. » Mais l'une des contraintes de ces nouveaux types de testeurs est une grande polyvalence.
La surveillance du spectre devient une activité de plus en plus importante pour les industriels, les organismes étatiques, la sécurité, etc. D'où l'apparition de solutions optimisées pour ces applications, telles que les analyseurs de la série MS2710xA d'Anritsu.
Vers des convergences technologiques
Des fabricants comme Tektronix ont choisi le concept suivant pour gérer cette flexibilité et l'obsolescence : « nous avons en fait dissocié la partie matérielle (l'acquisition) de la partie logicielle (le traitement et la visualisation) sur la nouvelle génération d'appareils RSA. La partie logicielle fonctionnant sur un PC externe, l'évolution de Windows ne rend pas l'appareil obsolète au bout de trois, quatre ans », explique Alain Ricard (Tektronix). Un autre avantage de disposer d'un matériel séparé du logiciel est de pouvoir mutualiser un système de test entre plusieurs ingé-nieurs qui, une fois leurs mesures réalisées, peuvent exploiter de leur côté les valeurs, laissant libre le système de test pour un collègue. « La flexibilité offerte par l'instrumentation modulaire est également de se donner plus de capacités à innover », affirme Renaud Courtois (National Instruments France).
En plus de performances toujours plus importantes, les industriels recherchent aussi des oscilloscopes numériques facilement interfaçables à Matlab et/ou dotés de solutions pour analyser la puissance électrique (en aéronautique).
À entendre les différentes personnes interrogées, on se rend compte qu'il existe des passerelles, voire des convergences entre les évolutions dans le domaine de l'aérospatial et de la défense et celles d'autres industries. À l'instar de la convergence entre les technologies militaires et civiles (IEEE 802.11ad et 5G, par exemple), entre les protocoles Tetra (pour la voix) et LTE (pour les données) dans les équipements de se-cours, d'où forcément de nouveaux besoins de test. Et Darren Nicholls (Keysight Technologies) de conclure : « En plus de la technologie 5G que l'on retrouve dans les liaisons de données haut débit des satellites, on trouve également les défis imposés par les ondes millimétriques et la cyber-vulnérabilité via la RF en automobile, ainsi que les solutions basse consommation dans les objets connectés ».
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