D e nombreux exploitants de raffineries utilisent des types de pétrole brut moins chers et difficiles à traiter, afin d'améliorer leurs marges bénéficiaires. Le nombre de pétroles bruts moins chers de ce type présents sur le marché prend de l'ampleur, ils comportent néanmoins des risques pour l'acheteur, en raison, par exemple, d'une forte teneur en acide naphténique et en soufre. Les acides naphténiques et les composés soufrés font en effet partie des nombreuses substances qui confèrent aux pétroles bruts et à leurs fractions raffinées leur caractère corrosif.
C'est pour cette raison que le risque de corrosion à haute température est plus élevé lors du traitement de pétroles bruts à fortes teneurs en acide naphténique et en soufre. Les installations de raffinage et de transport, telles que les colonnes de distillation sous vide et atmosphérique, les déflecteurs latéraux, les chambres de combustion, les tuyauteries et les systèmes de tête, sont parti-culièrement sujets à ce phénomène de corrosion. La relation entre les acides naphténiques et la corrosion au sein des raffineries a été découverte par W.A. Derungs, lorsqu'il a constaté qu'il était extrêmement difficile de différencier la corrosion due au sulfure de celle due à l'acide naphténique. Ces deux composants provoquent tous deux une forte corrosion à température accrue.
Sans rentrer dans des équations complexes, disons que la corrosion par l'acide naphténique est bien plus com-plexe que celle par le soufre, et elle est influencée par de nombreux facteurs, dont la température, la vitesse d'écoulement du fluide, la teneur en acides et en soufre. Lorsque les températures de traitement dépassent +200°C, le risque de corrosion par l'acide naphténique est nettement supérieur. Quelle que soit la température, le frottement superficiel lié à la circulation peut par ailleurs influencer la corrosion due aux acides naphténiques et aux composés soufrés. Les installations de raffinage où le fluide circule à des vitesses supérieures à 2,7m/s lors du processus et présentant des zones de fortes turbulences sont plus susceptibles de souffrir de la corrosion par les acides naphténiques. L'acier est protégé des attaques des acides naphténiques par un mince film de sulfure de fer, qui est créé par la réaction de l'hydrogène sulfuré, contenu dans le pétrole brut, avec l'acier de l'installation de raffinage. Mais des vitesses de circulation rapides et les turbulences peuvent dissoudre ce film de sulfure, exposant ainsi directement le métal aux attaques des acides naphténiques.
Contrôle de la corrosion via l'indice d'acide
Dans le cadre du contrôle de la corrosion, l'indice d'acide et la teneur en soufre du pétrole brut, ou de la fraction de distillation, sont déterminés pendant le traitement du pétrole brut. L'indice d'acide (
L'indice d'acide du pétrole brut et de fractions est déterminé par le titrage de la teneur totale en acides selon la méthode ASTM D664. Cette dernière avait été à l'origine développée pour l'analyse de lubrifiants neufs et usés, mais elle met aujourd'hui les chimistes face à plusieurs défis analytiques lors de son application au pétrole brut et aux fractions. La dissolution insuffisante des pétroles bruts et des fractions dans le solvant de titrage pose par exemple un problème. Des substances telles que l'asphalte, la paraffine (cire) et le bitume ne se dissolvant pas facilement dans le solvant de titrage que prescrit la méthodeASTM D664, le titrant ne peut alors pas réagir avec la totalité de l'acide présent dans l'échantillon.
De plus, l'échantillon non dissous se dépose sur la membrane de verre de l'électrode dans la cellule de titrage, ce qui réduit la capacité de l'électrode à mesurer avec exactitude des variations de potentiel pendant le titrage. La précision et l'exactitude s'en trouvent ainsi réduites. Pour mesurer certaines fractions de distillation plus claires, un procédé de titrage colorimétrique, décrit dans la méthode ASTM D974, était jusqu'ici mise en œuvre. Mais, en raison de leur couleur très sombre lorsqu'ils sont dissous dans le solvant de titrage, les pétroles bruts et les fractions de distillation «front end» ne peuvent pas être analysés à l'aide de cette méthode d'essais.
Un titrage thermométrique
Le secteur pétrolier avait donc besoin d'un procédé performant pour déterminer la teneur en acides de pétroles bruts et de fractions. C'est ainsi que la filiale américaine du suisse Metrohm a développé, en partenariat avec des industriels, une méthode améliorée pour ces matrices exigeantes. Cette nouvelle méthode d'essais, l'ASTM D8045, est basée sur un titrage thermométrique. Rappelons d'abord en quoi consiste la méthode jusque-là mise en œuvre, l'ASTM D664. La détermination de l'indice d'acide de pétroles bruts et de fractions selon cette méthode d'essais se fait par potentiométrie : une électrode pH détecte la réaction entre le titrant et l'acide naphténique. Comme on l'a précisé auparavant, le capteur est souvent recouvert, pendant le titrage, de fractions lourdes difficiles à dissoudre dans le solvant prescrit, ce qui affecte la précision de mesure. La méthode ASTM D8045, elle, permet de déterminer le changement de température au point équivalent dû à l'enthalpie de la réaction. La méthode d'essais fait intervenir, en plus d'un titreur de laboratoire 859 Titrotherm et du logiciel tiamo du fabricant, un capteur thermométrique équipé d'une thermistance pour mesurer la température dans le récipient de titrage, lors du titrage non aqueux de l'acide dans le pétrole brut. Étant donné que la neutralisation de l'acide naphténique est exotherme, la température augmente au cours de la réaction. Afin d'obtenir un point d'inflexion clair sur la courbe de température, un indicateur thermométrique est ajouté dans la solution d'échantillon, lequel réagit par une réaction endothermique avec l'hydroxyde excédentaire, une fois le point final atteint. La température revient à sa valeur initiale, lorsque la réaction s'est arrêtée. La courbe de titrage ainsi obtenue a la forme d'unV inversé, et l'évaluation du point final du titrage se fait à l'aide du logiciel tiamo. À noter qu'aucune chambre de réaction isolée n'est nécessaire, car le point final de la réaction est indiqué par la mesure d'une différence de température relative.
En partenariat avec des industriels du pétrole, Metrohm a développé la méthode d'essais ASTM D8045, basée sur un titrage thermométrique au lieu d'une méthode potentiométrique. Ce nouveau titrage, qui fait intervenir un capteur thermométrique, un titreur de laboratoire 859 Titrotherm et le logiciel tiamo, permet de déterminer le changement de température au point équivalent dû à l'enthalpie de la réaction.
L'utilisation d'un capteur thermométrique permet de résoudre le problème à deux niveaux différents. D'une part, aucune membrane de verre sur laquelle peuvent se former des dépôts n'est utilisée et, d'autre part, le chimiste peut modifier la composition du solvant afin de favoriser la dissolution des pétroles bruts lourds tels que le bitume. Le temps de réponse de la thermistance est inférieur à 0,003s, ce qui est bien plus rapide que celui de la membrane de verre d'une électrode pH. En plus d'apporter une grande sensibilité, le titrage thermométrique peut donc être réalisé bien plus rapidement qu'avec la méthode ASTM D664 (une indication du pH), sans aucune perte de précision ni d'exactitude. Avec ce nouveau capteur,il est par ailleurs possible d'utiliser des solvants unipolaires, tels que le xylène, qui améliorent la solubilité de nombreuses huiles, dont celles du pétrole brut. En développant la méthode ASTM D8045, Metrohm est par ailleurs parvenu à relever les défis que représente la préparation des échantillons. La composition hétérogène du pétrole brut peut gêner les analyses, en particulier lors de la mesure de prises d'essais relativement petites, de l'ordre de 3 à 5g. Pour obtenir des résultats précis, il est alors nécessaire d'homogénéiser le pétrole brut avant l'analyse, via un mélangeur de laboratoire. Des études du groupe de travail ont montré que cette opération améliorait la précision de la nouvelle méthode d'essais.
Pour résoudre le problème de la mauvaise solubilité des pétroles bruts et des fractions, une étude a été menée sur les solvants, étude qui est parvenue à la conclusion suivante : un mélange de xylène et de propan-2-ol (également connu sous le nom d'alcool isopropylique, ou IPA pour Iso-Propyl Alcohol), selon un rapport en volume de 75: 25, était le mieux adapté pour dissoudre les différents pétroles bruts et les fractions de raffinerie. Le solvant de titrage composé de xylène et de propan-2-ol est d'ailleurs si efficace que 30 à 40 ml suffisent, comparativement aux 120ml de solvant nécessaire pour la méthode ASTM D664. La plus faible quantité de solvant et la réduction des déchets qui en résulte permettent ainsi des économies substantielles sur les coûts. Les pétroles bruts et les fractions liquides à température ambiante sont pesés directement dans un godet. L'échantillon est dissous dans 30ml du solvant auquel avait précédemment été ajouté l'indicateur thermométrique. Le titrage est effectué avec 0,1 M d'hydroxyde de potassium dans du propan-2-ol. Les échantillons non liquides à température ambiante, tels que l'asphalte ou les fractions à forte teneur en paraffine, nécessitent une préparation des échantillons.
Corrélation entre les deux méthodes
Pour les pétroles bruts et les fractions de distillation dont l'indice d'acide attendu est inférieur à 1, la prise d'essai de l'échantillon devrait être de 10 à 20g. Si l'indice d'acide est supérieur à 1, seuls 5g d'échantillon sont nécessaires. Si l'échantillon n'est pas complètement dissous, la quantité peut être adaptée. Pour les substances inconnues, il est recommandé de commencer par 5g et d'adapter ensuite au besoin la prise d'essai pour les mesures suivantes. Le volume du titrant utilisé doit être d'au moins 0,15ml; s'il est inférieur à cette valeur, une quantité d'échantillon supérieure sera requise. Un volume de titrant supérieur à 5,0ml indique au contraire que la prise d'essai de l'échantillon est trop importante. Et rappelons qu'il est impératif d'effectuer régulièrement des déterminations de la valeur à blanc.
Comparaison entre méthodes ASTM D664 et ASTM D8045
ASTM D664 (méthode potentiométrique) Titrant 0,1 mol/l de KOH dans IPA 0,1 mol/l de KOH dans IPA Solvant Toluène, IPA et eau Xylène et IPA Volume de solvant 125 ml 30 à 35 ml Temps de titrage Environ 220 s Environ 60 s Temps pour conditionner l'électrode 3 à 5 min Aucun ASTM D8045 (méthode thermométrique) Maintenance du capteur Rinçage au solvant, réhydratation, immersion IPA et Simple rinçage au solvant remplissage électrolyte Prise d'essai (selon AN de 0,05 à 1,0 mg de KOH/g) 20 ± 2 g Environ 10 g |
Depuis plusieurs mois, de nombreux types de pétroles bruts et fractions de distillation ont été analysés avec la nouvelle méthode de titrage thermométrique. Une étude comparative sur la méthode potentiométrique ASTM D664 montre une bonne concordance, avec une différence comprise entre 1,6% (gazole sous vide lourd) et 8,6% (pétrole brut). Dans une étude à laquelle ont participé trois laboratoires, 89 échantillons ont été analysés selon les procédés potentiométrique et thermométrique afin de comparer les résul-tats.Ceux-ci ont permis de conclure que le nouveau procédé thermométrique fournit des valeurs équivalentes à ceux de la méthodeASTM D664 (
Résultats d'une étude comparative
Dans une étude à laquelle ont participé trois laboratoires, 89 échantillons ont été analysés selon les procédés potentiométrique et thermométrique. La comparaison des résultats obtenus a permis de conclure que le nouveau procédé thermométrique fournit des valeurs équivalentes à ceux de la méthode ASTM D664. |
La précision intra-laboratoire de même que la précision inter-laboratoires ont été étudiées dans le cadre du développement de la méthode d'essai thermométrique de détermination du TAN pour l'ASTM. Dix laboratoires ont pour cela mesuré 12 types de pétroles bruts et fractions de distillation. La précision au sein d'un même laboratoire (répétabilité) et la précision sur plusieurs laboratoires (reproductibilité) de la méthode thermométrique se sont révélées nettement meilleures pour la mesure du pétrole brut et des fractions que celles obtenues avec la méthode ASTM D664. Par exemple, la valeur moyenne du TAN pour le pétrole brut est de 0,1520mg de KOH/g, avec un écarttype absolu de 0,0063mg de KOH/g. Pour le mélange de distillation, les valeurs obtenues sont respectivement 0,0420mg de KOH/g et 0,0042mg de KOH/g. Cela est principalement dû à la solubilité améliorée de l'échantillon dans le solvant composé de xylène et de propan-2-ol,grâce à laquelle l'ensemble de l'échantillon devient accessible pour la réaction avec le titrant.
Ces résultats confirment donc tout l'intérêt du titrage thermométrique pour la détermination de l'indice d'acide dans le pétrole brut et ses fractions de distillation. En plus de la grande sensibilité, du temps de réponse rapide, de résultats plus précis et reproductibles que la méthode traditionnelle, la méthode d'essais ASTM D8045 apporte d'autres avantages significatifs: une utilisation réduite au plus simple, une économie en termes de solvants, la possibilité d'automatiser complètement la méthode et l'obtention de résultats toujours cohérents entre les opérateurs et les différents laboratoires.