L'essentiel
L'ingénierie simultanée est entrée en 2011 au programme des BTS CRSA. Le BTS CRSA du Lycée Vieljeux de La Rochelle a été le premier à le mettre en œuvre. L'équipe enseignante s'est appuyée sur les outils logiciels et l'expérience de Siemens en la matière. L'objectif: vérifier la possibilité de transmettre les concepts d'usine numérique dans le cadre d'une formation professionnelle. L'expérience s'est avérée tout à fait concluante. |
Tout concepteur de systèmes ou machines souhaite connaître le résultat de sa création avant d'en avoir réalisé la moindre partie. Au-delà d'une curiosité bien compréhensible, combien d'erreurs en tout genre pourraient être ainsi évitées? Mauvaises commandes,pièces inutilement réalisées,process à revoir ou à modifier au moment de la mise au point… Bref des surcoûts non maîtrisés qui peuvent alourdir un devis ou une facture de façon significative. Les logiciels de CAO avaient déjà apporté quelques réponses à cette problématique. Leurs possibilités de visualisation d'interférences dans les mouvements de pièces ou d'animation de systèmes permettaient d'observer les bons fonctionnements et valider au mieux un process. Cependant, les mouvements animés étaient prédéterminés et non modifiables ; l'aléa n'y avait pas sa place. De plus, au niveau de la gestion de projet, il fallait généralement attendre que le process soit matérialisé par des solutions technologiques afin de lancer les études des parties commandes et la programmation.
Après la première formation de deux jours dispensée par Siemens en janvier 2012, deux étudiants, en un trimestre de projet (environ 4 h/semaine), ont réussi à simuler toutes les parties opératives d'une empileuse/dépileuse de bacs à poisson. Sur la même durée, un autre élève a réussi à simuler une banderoleuse (voir photo ci-dessus) présentant la particularité d'intégrer un bras tournant d'une tonne.
C'était le temps d'avant, du temps du BTS MAI (Mécanique Automatismes Industriels), aujourd'hui renommé BTS CRSA (Conception et Réalisation de systèmes Automatique). L'ingénierie simultanée n'avait pas encore fait son entrée au programme d'enseignement. Mais ces outils de développement numérique sont-ils à la portée des enseignants et des élèves? Leur prise en main s'inscrit-elle dans le temps pédagogique imparti?Toute réforme implique forcément des questions et exige de prendre le temps de mettre en place les outils pédagogiques appropriés. « Ce sont des questions légitimes que je me posais moi-même. Je ne savais pas non plus dans quelle mesure nos solutions logicielles d'ingénierie simultanée pouvaient s'inscrire dans un projet pédagogique », explique Laurent Mismacque, directeur de région chez Siemens. Ce dernier a participé à la commission consultative qui a conduit à la réforme du BTS et a préconisé l'apprentissage aux élèves des procédés logiciels d'ingénierie simultanée. Lorsque la section de BTS CRSA du LycéeVieljeux de La Rochelle a manifesté son souhait d'essuyer les plâtres et de devenir un site d'enseignement pilote, il a saisi cette opportunité pour faire un test en grandeur réelle afin de « vérifier s'il est possible dans le temps pédagogique imparti de transmettre les concepts d'usine numérique dans le cadre d'une formation professionnelle ».
Grâce à MCD, il est possible de commencer la recherche de solutions par des éléments simples, de vérifier le fonctionnement et la cadence. Par le passage de la conception préliminaire à la conception détaillée, la programmation démarre alors que les solutions techniques ne sont pas encore déterminées avec précision. Les photos ci-dessus illustrent la simulation du transport d'une caisse sur un convoyeur équipé de deux capteurs : àgauche la conception préliminaire du convoyeur, à droite sa conception détaillée.
Les outils de l'usine numérique proposés par Siemens pour la formation des BTS regroupent trois logiciels: le logiciel de CAO Mechatroncis Concept Designer (MCD) implémenté sur le logiciel NX8.01, l'environnement de programmation d'automatismesTIA Portal et le logiciel Simatic Net assurant l'interfaçage entreTIA Portal et MCD. La version française de MCD n'est disponible que depuis 2011. Cet outil permet de “motoriser” des modèles CAO figés. Il intègre un séquenceur de tâche qui rend possible la simulation des mouvements d'un ensemble mécanique ou d'une machine à partir de son fichier CAO sur lequel on aura préalablement défini les capteurs, les liaisons entre capteurs et actionneurs, les déplacements, etc. Une fois que les mouvements de la machine semblent au point, que les erreurs de conception, les frottements et autres collisions ont été corrigées, le lien est fait avec TIA Portal via le standard d'échanges OPC. Grâce au logiciel MCD, le process, une fois validé par les concepteurs, peut être poursuivi simultanément aussi bien du point de vue mécanique (partie opérative) que d'un point de vue appelé communément “partie commande”. « Avec MCD,je vérifie si la machine fonctionne correctement.AvecTIA Portal,on s'assure que le programme automate et les entrées/sorties choisies tournent dans MCD conformément au cahier des charges. On peut ainsi débugger 95 % de son programme. Le reste des modifications sera lié à l'architecture mécanique de la machine », assure Laurent Mismacque.
Le lien entre TIA Portal, l'environnement de programmation d'automatismes de Siemens, et MCD s'effectue par un OPC Server. MCD devient alors client de cet OPC et pioche les variables parmi celles déclarées dans l'automate. Dans MCD, les variables cochées sont récupérées sous forme de connexion ou signaux externes. Elles doivent être alors associées aux capteurs déjà dessinés. A cet instant, les capteurs, lorsque le bac passera devant eux, enverront une information vers l'automate S7-1200 où est implanté le programme du TIA Portal qui lui-même peut réagir en envoyant par exemple une nouvelle information indiquant un changement de sens de déplacement du bac sur le convoyeur.
Prise en main par les étudiants
Sur le papier tout semble évidemment opérationnel et efficace.Mais ces logiciels seront-ils suffisamment conviviaux et souples d'utilisation, là étaient nos appréhensions par rapport à un produit global si conséquent.
Une première contrainte très importante consistait en la possibilité d'échanger facilement les modèles 3D de Solidworks, logiciel très implanté dans l'Education Nationale, avec MCD/NX. En fait dès la version 8.01, MCD/NX permet directement de récupérer un assemblage Solidworks, à condition toutefois que toutes les pièces soient dans un même répertoire. MCD autorise également l'importation de plusieurs formats de fichiers notamment les fichiers STEP, format par lequel nous passions au début, n'ayant pas découvert tout de suite la commande d'importation des assemblages SDW qui se trouvait tout en fin de bandeau déroulant… Il est à noter que les contraintes sont perdues lors de cette importation. Cependant, cela n'a aucune incidence sur l'utilisation attendue puisque les pièces non déclarées dans MCD restent inertes.
Un deuxième point était de savoir si ce qui avait été réalisé en conception préliminaire pouvait être conservé. Sur ce point également, l'OPC server et MCD offrent la possibilité d'enregistrer les variables d'échange et il est toujours possible d'y apporter des modifications et des rajouts. Une demande de connexion à l'OPC Server de la part de MCD suffit à retrouver les variables, évitant ainsi de redéfinir les variables échangées à chaque redémarrage des logiciels.
L'essentiel du travail à effectuer lorsque l'on passe sur MCD consiste donc à déclarer les différentes entités.
Evidemment, plus le projet est conséquent, plus la masse d'informations à traiter sera importante. Enfin, le dernier point à valider était de mesurer la rapidité d'appropriation des logiciels par les étudiants. Du côté duTIA Portal, nos habitudes avec les logiciels d'automatisme Siemens nous rendaient confiants et cela s'avéra juste, une fois surmontés les errements dus à un nouvel environnement. Toutes les craintes reposaient donc sur le logiciel MCD et la passerelle OPC. Mais les observations de l'expérience de l'an dernier ont dépassé nos espérances. Après la première formation de deux jours dispensée par Siemens en janvier 2012, deux étudiants, en un trimestre de projet (environ 4 heures par semaine), ont réussi à simuler toutes les parties opératives d'une empileuse/dépileuse de bacs à poissons tout en menant à bien le projet à présenter en fin d'année. Sur la même durée, un autre élève a réussi à simuler une banderoleuse.
Avantages en conception préliminaire
Comme il a été présenté précédemment, MCD permet de travailler sur le cycle et donc la cadence de production, contrainte souvent cruciale du cahier des charges. Il est possible de commencer la recherche de solutions par des éléments simples, de vérifier le fonctionnement et la cadence, de modifier (éventuellement sous NX car il est possible de modifier les entités directement dans NX qui est, à l'origine, un logiciel de CAO - pour peu que l'on s'adapte à ce nouvel environnement, ce qui n'a pas semblé difficile pour nos étudiants).Une fois validée cette conception préliminaire, il est possible de démarrer aussi bien la conception détaillée, lare-cherche des constituants des parties commandes et opératives (PC et PO) que la programmation des automates et IHM.
De la conception aux mouvements
Basé sur le logiciel NX de Siemens Industry Software, MCD permet d'associer aux pièces de CAO des corps rigides, des corps de collision, surfaces de transport ou articulations… Aux corps solides, sont affectées des propriétés de masse, de centre de gravité, etc. Aux corps de collisions, des propriétés de contact avec d'autres corps de collision qui feront apparaître les oscillations, les chocs et rebonds, les basculements… Les coefficients de frottement entre pièces font partie des paramètres à intégrer. Toute pièce qui n'est pas déclarée reste “inerte”. A cela, il est possible d'ajouter des capteurs de position et des opérations qui offrent, par leurs caractéristiques programmées, l'opportunité d'organiser le cycle de fonctionnement à travers l'éditeur de séquence. Il est possible de récupérer un temps de cycle relativement fiable et de le comparer avec la cadence souhaitée dans le cahier des charges. La grande différence par rapport aux modeleurs plus communément utilisés est due au moteur physique qui simule les masses et les chocs. Les chocs permettront de voir l'échange d'énergie cinétique entre les différentes pièces du système. Par contre, les pièces sont considérées indéformables et il n'est pas possible de modéliser les fluides… En revanche, il est aisé de créer à l'écran, avec la souris, une perturbation du cycle de fonctionnement (exemple: faire basculer une pile de bacs…) et d'en visualiser les conséquences. Anticiper dans la programmation des aléas autrefois difficilement envisageables est désormais devenu possible. |
Il est possible bien entendu,alors,de rajouter les guides comme corps de collision ce qui a pour effet lorsque la vitesse de la surface de transport devient trop rapide de visualiser le coincement du bac entre les guides. Atout supplémentaire: toutes les déclarations effectuées sous MCD en conception préliminaire peuvent être basculées facilement sur les éléments de la conception détaillée.
Une fois la conception préliminaire validée, il est possible de démarrer aussi bien la conception détaillée, la recherche des constituants des parties commandes et opératives que la programmation des automates et IHM.
A l'animation “figée” des logiciels de CAO “traditionnels”, le moteur physique du logiciel Siemens apporte une dimension supplémentaire: il est désormais possible d'examiner un comportement attendu - ou non- de la machine, comme par exemple un bourrage impromptu de pièces sur un convoyeur –défaut très rarement étudié lors d'une animation de CAO. Notre surprise fut grande, en reprenant les fichiers SW de notre première étude d'une empileuse/dépileuse de bacs à poissons réalisée pour un port de la façade atlantique, de constater en simulation MCD le même défaut que celui rencontré lors de la mise en œuvre de la machine, à savoir la prise en étau d'un bac dans le retourneur et son éjection “radicale”.
BTS CRSA en quelques mots
Le BTS CRSA est depuis la rentrée 2011 la nouvelle dénomination de l’ex-BTS MAI (Mécanique et Automatismes Industriels). Il s’intéresse à la conception et réalisation de systèmes automatiques. Il forme des techniciens à trois métiers traditionnels de l’industrie : la construction mécanique aussi bien en conception qu’en pratique, l’électrotechnique et l’informatique industrielle. Sans oublier les domaines connexes telles que la maintenance, la sécurité… La réforme de juin 2011 a notamment axé le programme sur un meilleur savoir-faire en communication (travail collaboratif, gestion de projet, documentation…), l’ingénierie simultanée et le recours à la simulation des comportements d’une chaîne fonctionnelle. Un projet industriel est confié aux étudiants de 2 nde année répartis en plusieurs équipes afin de favoriser le travail collaboratif. Ils sont ainsi confronter aux réalités et problèmes de la gestion de projet industriels dans un temps imparti. Les principaux projets déjà réalisés par la section de BTS CRSA du Lycée Vieljeux de La Rochelle : empileuse dépileuse de bacs à poissons, retrofit d’une banderoleuse, appareil de rhéologie, haubaneuse, conditionneuse de pommes de terre, etc. |
Nous avons abordé l'année 2012/2013 en essayant de coller au plus près à cette démarche d'Ingénierie Simultanée. L'année dernière, la découverte de ce nouvel environnement ne nous avait pas permis d'en
L'équipe enseignante a, par ailleurs, pu mesurer tout l'intérêt de MCD dans un projet où il n'était pas prévu de l'utiliser. Il s'agissait de reconcevoir l'armoire de commande et donc la programmation d'une banderoleuse présentant la particularité d'intégrer un bras tournant d'une tonne, présentant un caractère dangereux.
Les limites constatées
Comme il a été évoqué précédemment, les pièces ne se déformant pas, il n'y a pas absorption de l'énergie lors de collisions. Dans le même esprit, les fluides ne peuvent pas être représentés; ainsi une citerne remplie de liquide ne pourra voir son centre de gravité se déplacer lors d'un choc. Comme parfois avec les logiciels, il faut s'adapter au matériel à notre disposition. A moins de disposer d'un ordinateur digne d'un centre de recherches, il sera préférable de modéliser les convoyeurs à rouleaux par une plaque surface de transport. Affecter des propriétés à chaque rouleau, possible au demeurant, aurait demandé trop de ressources en mémoire. Cette restriction empêche par exemple d'observer le mouvement quelquefois ondulant des piles de bacs à poissons au passage entre deux rouleaux.
Nous avons abordé l'année 2012/2013 en essayant de coller au plus près à cette démarche d'Ingénierie Simultanée. L'année dernière, la découverte de ce nouvel environnement ne nous avait pas permis d'en suivre à la lettre les préceptes.Actuellement, le nombre de solutions en étude préliminaire a été multiplié et il a été possible de présenter rapidement à nos “clients” des solutions différentes et toutes conformes au cahier des charges. Une fois le choix fait, toutes les études des parties commandes (électricité et automatisme) et opératives (mécanique seulement en général) pourront être lancées de front. La partie opérative va être détaillée ainsi que la partie électrotechnique. Pendant ce temps, la programmation avancera en s'appuyant sur la simulation du modèle établi lors de la conception préliminaire. L'équipement prévu dans le pack “Usine Numérique” permet d'envisager avec acuité les modes de marche et les consignes. Même les marches manuelles peuvent être également programmées et vérifiées durant la phase d'étude.
Les élèves du BTS CRSA du lycée Vieljeux de La Rochelle se sont approprié les concepts de l'Usine numérique en s'appuyant sur les outils de Siemens. Côté logiciel : un poste double écran équipé de MCD et TIA Portal. Côté matériel : l'automate S7-1200 et le pupitre KTP600 reliés par Profinet.
Il est à préciser que l'utilisation de l'outil SysML a grandement facilité la gestion de nos nouveaux projets en permettant d'établir les éléments descriptifs de fonctionnement de chaque solution sur une même base logicielle. Ce qui revient à constater que limiter la multiplicité des outils semble être également une bonne voie.
Notre expérimentation de l'Usine Numérique, après cette première année d'étude, nous semble donc positive. Certes, l'Usine Numérique nécessite de passer par une phase de déclarations de propriétés et de variables qui doit être minutieuse et nécessite un certain temps ; mais dans une démarche de projet en BTS CRSA, diplôme à très forte vocation professionnalisante, cet investissement supplémentaire offre un gain de temps appréciable notamment grâce à une ergonomie et des fonctionnalités bien pensées. Par ailleurs, il faut noter cet aspect non négligeable permis par l'Usine Numérique qui est de posséder dorénavant une quantité de maquettes virtuelles programmables pratiquement infinie.
Dans le cadre de la mise en œuvre des projets, le concept et les outils d'Usine Numérique ont permis d'être plus efficace en scindant rapidement les équipes d'étudiants et de les répartir sur les différentes tâches à réaliser (programmation, conception détaillée, électrotechnique…).Cela limite également les machines ou prototypes d'essai parfois onéreux. Par exemple,MCD va nous permettre de visualiser le comportement d'une machine mobile pour déverrouiller les sas de wagons de transport de céréales. Ceux-ci étant souvent grippés et les efforts importants,il n'est pas interdit de penser que la machine puisse se renverser sous l'effet de la réaction.
En fait ces deux aspects nous laissent penser que les logiciels entrant dans le concept de l'Usine Numérique constituent des outils nécessaires aux entreprises disposant de petites unités de développement.